Dans l'entrée du service de "réa", un seau attire le regard. "La fuite existe depuis la construction du service, en 1992", s'attriste le Dr Didier Hommel. Après 25 ans de dysfonctionnements, les murs sont partiellement tachés, par endroit troués. "On ne peut plus nettoyer, car ça suinte continuellement", se lamente-t-il.
Dans certains couloirs, la moisissure triomphe. Des petites plantes ressemblant à des fougères sortent désormais de conduits. Des fientes d'oiseaux parsèment certaines coursives à l'air libre. Parfois, les détritus s'amoncellent.
"Les malades sont douchés à l'eau froide à 6h le matin car il n'y a pas d'eau chaude. C'est indigne", tonne le Dr Hakim Amroun. Et le chef du pôle chirurgie de s'interroger: "Je ne sais pas si on accepterait qu'un métropolitain se fasse soigner comme cela..."
Le personnel ne manque pas de dévouement. Mais Linda, une infirmière d'une trentaine d'années, désigne les lits "inadaptés" des patients: "ce sont les mêmes que quand j'étais gamine. Les matelas ne sont pas du tout adaptés. Le risque d'escarres est latent".
Le CHAR (Centre hospitalier Andrée-Rosemon de Cayenne) intègre régulièrement la rubrique des faits divers. En 2016, cinq grands prématurés y sont décédés "des suites d'une infection nosocomiale", selon l'Agence régionale de santé.
Mi-janvier, la mort d'un homme de 39 ans, mordu par un serpent, a provoqué la colère. Aucun sérum anti-venin n'existait contre le reptile incriminé mais les Guyanais se sont sentis abandonnés.
Les carences du système de santé figurent ainsi parmi les principales récriminations de la population, qui mène depuis deux semaines un mouvement social d'une ampleur inédite dans cette collectivité d'Outre-mer, située entre Brésil et Suriname, à 7.000 km de Paris.
"J'irai ailleurs"
Sur les barrages érigés dans Cayenne, l'hôpital est pointé du doigt. "Je n'ai pas pu avoir de péridurale car il y avait une infirmière pour 20 femmes qui accouchaient", se souvient Stéphanie, 32 ans. "Si j'ai un problème, je ferai comme tout le monde. Je prendrai un avion pour aller me faire soigner ailleurs", grogne Jean, la cinquantaine.
"Chaque fois qu'il y a un évènement malheureux, on se fait traiter d'assassins", peste Loïc Epelboin, spécialiste des maladies infectieuses, qui regrette le manque d'investissements chronique.
Alors que 2.000 personnes travaillent au CHAR, que l'établissement rayonne sur un bassin de population de 90.000 habitants et qu'il est, pour certaines spécialités, l'unique structure de santé pour l'ensemble de la population guyanaise, "il perd chaque mois 1,6 million d'euros", constate un médecin.
En cause, l'augmentation de la population, liée à une importante démographie et à une forte croissance migratoire, qui "engendre un déficit croissant de l'hôpital sur ses activités en tarification hospitalière", explique un collectif du personnel.
L'établissement, mis sous tutelle en mars 2016, "n'arrive donc pas à avoir de la trésorerie et a un déficit structurel croissant, ce qui fait que les projets prévus n'avancent pas", poursuit-il.
La nouvelle direction de l'hôpital, contactée par l'AFP, n'a pas souhaité faire de commentaire.
Samedi, la ministre des Outre-mer Ericka Bareigts a annoncé que 85 millions d'euros seraient investis dans le système de santé guyanais dans le cadre d'"actions d'urgence" concernant aussi le système éducatif et les forces de l'ordre. 65 millions seront consacrés au seul hôpital de Cayenne, dont 20 au titre d'une '"aide financière d'urgence" et 40 pour le "moderniser". Quelque 21 millions d'euros avaient déjà été débloqués par Paris en décembre.
"Le problème, c'est qu'on fonctionne à court terme", constate le président de la commission médicale de l'établissement, Christophe Lebreton. Malgré les aides annoncées, "vu l'évolution de la population, on va se retrouver dans la même discussion d'ici 5 à 10 ans".
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