La formule, lancée par Jean-Philippe Chambrier, un représentant autochtone vêtu d'une cape traditionnelle, relève du cri du coeur. Autour de lui, sur le rond-point de l'aéroport de Cayenne, où plusieurs camions grumiers et tracteurs bloquent la circulation, les visages reflètent des origines plurielles.
"Hmong, Créoles, métros, Bushinengués... on est là pour le même combat", reprend Jean, arboriculteur participant depuis deux semaines au blocage d'une agence publique.
Installés dans les années 1970 en Guyane, après avoir fui le régime communiste au Laos, quelques milliers de Hmong, infiniment moins nombreux que les Bushinengués, les descendants d'esclaves du Suriname, illustrent la diversité de la Guyane, au même titre que les Créoles ou les "métros", Français de métropole.
Car la Guyane, territoire d'Amérique du sud de la taille du Portugal, peuplé d'à peine 250.000 habitants, compte plus de 25 communautés différentes. Dont des Chinois et des Libanais, arrivés au XIXe et XXe siècle, mais aussi des Haïtiens, Surinamiens, Brésiliens... venus plus récemment par les routes clandestines.
"L'histoire du pays, c'est l'immigration", relève l'anthropologue guyanaise Isabelle Hilaire-Krivsky. Avec 30% de population de nationalité étrangère, la Guyane connaît pourtant des "tensions identitaires quotidiennes", marquées par une "séparation" entre les communautés et de la "xénophobie", note-t-elle.
Le mouvement social en cours pourrait peut-être changer la donne. Sur les barrages, des habitants aux origines très diverses jouent ensemble de la musique ou aux dominos. Ils mangent les grillades amenées par des commerçants, et des tartes données par les particuliers. Et boivent à l'unisson.
"Ici, tu ne paies pas, sourit un volontaire. A condition que tu ramènes quelque chose le lendemain."
"Une société qui se tutoie"
Cette "révolution participative", marquée par sa "solidarité", selon Mme Hilaire-Krivsky, ne transcende pas que les communautés.
Son point de départ, le rejet des manquements sécuritaires, sanitaires ou éducatifs, réunit, de l'aveu général, tous les Guyanais, quelles que soient leurs classes sociales.
"Lorsque le directeur d'une haute administration est malade, il doit bien se rendre à l'hôpital de Cayenne. Et comme le plus pauvre citoyen, il se rend compte que les soins ne sont pas à la hauteur", selon Gauthier Horth, un entrepreneur fortement impliqué dans le mouvement social.
L'insécurité touche également toutes les strates de la société guyanaise. Début novembre, un cadre du parti Walwari, créé par l'ex-Garde des Sceaux Christiane Taubira, est abattu lors d'un cambriolage à son domicile. Ce qui confirme qu'en Guyane, le territoire le plus meurtrier de France avec 42 homicides en 2016, les personnalités locales peuvent autant mourir sous les balles que les anonymes.
"Toutes les communautés, toutes les composantes du corps social, partagent cette même exaspération et cette envie de faire changer les choses", selon Gauthier Horth. Toutes ou presque sont réunies au sein du collectif "Pou La Gwiyann dékolé" (pour que la Guyane décolle), qui pilote le mouvement.
Samedi, un membre de l'Union des travailleurs guyanais (UTG), le principal syndicat, a demandé à la ministre des Outre-mers Ericka Bareigts un "statut particulier" pour la Guyane. Une mesure que défendent également les "socioprofessionnels", ces petits entrepreneurs très actifs durant une grève qui pénalise pourtant leurs intérêts à court terme.
Dans ce conflit, les patrons ferraillent avec les syndicalistes pour "sortir la Guyane de la spirale de l'échec", "au nom des intérêts sociétaux", se félicite Stéphane Lambert, président du Medef à Cayenne.
Toute la journée de jeudi, alors que les ministres Matthias Fekl (Intérieur) et Ericka Bareigts rencontraient une délégation de Guyanais, une foule colorée et bigarrée, portant la cagoule noire des "500 frères" - un groupe anti-délinquance - ou la coiffe à plumes des Amérindiens, a crié sa "détermination", bravant une pluie battante.
"Il y avait tous les groupes sociaux, toutes les couleurs. C'était remarquable", se réjouit Stéphane Lambert. "On est tous passés d'une société qui se vouvoie à une société qui se tutoie."
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