"La solidarité des gens qui nous ont cachés était une solidarité silencieuse alors qu'aujourd'hui elle est nécessairement audible et visible pour essayer de faire changer les choses. Mais elles procèdent toutes les deux de la même générosité humaine", compare ce retraité jovial, ancien fleuriste de décoration à Paris.
Le "délit de solidarité" est une expression utilisée en France par les associations pro-réfugiés pour dénoncer des procédures judiciaires engagées contre les personnes qui aident les migrants. Juridiquement parlant, ces poursuites ont eu lieu notamment pour "aide au séjour" ou pour "aide au transport d'étrangers en situation irrégulière".
Lancé fin février avec quatre autres signatures, celles d'anciens enfants cachés comme lui sous Vichy, le manifeste de Georges Gumpel en a recueilli depuis "une soixantaine" et a été largement partagé sur les réseaux sociaux.
"Si nous sommes en vie, c'est parce que des délinquants solidaires ont désobéi, nous ont cachés, nous ont nourris, en dépit des lois de Vichy et de l'occupant", proclame le texte, visible sur le site de l'Union juive française pour la paix (UJFP) dont l'octogénaire est porte-parole.
"Dans la vallée de la Roya, à Calais, à Paris, à Norrent-Fontes, à Boulogne, à Loos, à Perpignan, à Saint-Étienne, à Meaux... des militants et des citoyens qui ont manifesté concrètement leur solidarité désintéressée aux réfugiés ou aux Roms, sont intimidés, menacés, poursuivis par les autorités", ajoute le manifeste qui réclame "la fin de ces procédés".
"L'idée est venue après l'appel de la mère de Pierre-Alain Mannoni", se rappelle le retraité, en évoquant la pétition lancée par la mère d'un chercheur de Nice (sud) poursuivi pour le covoiturage, en octobre 2016, de trois Érythréennes venues d'Italie. Le chercheur a depuis été relaxé, mais le parquet a fait appel.
"Aujourd'hui, il n'y a pas de danger de mort mais l'ignominie est la même", lâche Georges Gumpel, scandalisé par la procédure judiciaire.
Le cas d'un agriculteur bio, Cédric Herrou, dans la même vallée franco-italienne de la Roya, a lui aussi eu beaucoup d'écho ces derniers mois en France. Il a été condamné le 10 février à 3.000 euros d'amende avec sursis pour avoir pris en stop des migrants. Là aussi, le parquet a fait appel.
'Imprescriptibilité'
Né en 1937 à Paris dans une famille juive française non pratiquante, il se souvient de son unité brisée après la rafle du Vélodrome d'Hiver en juillet 1942, où plus de 13.000 juifs - adultes et enfants - furent amenés avant d'être déportés.
"Tout d'un coup, nos parents découvrent que nous sommes en danger." Il déménage alors à Lyon (centre-est) avec sa famille mais le répit est de courte durée: les Allemands ont envahi la zone libre. Caché pendant trois mois dans un internat catholique, il sera finalement amené par sa mère chez des paysans dans le Massif central, en janvier 1944.
"Il y a des gens qui ont été cachés dans des placards, dans une porte secrète, ce n'était pas mon cas", précise M. Gumpel qui pouvait aider au travail de la ferme.
"J'ai été bien traité. J'ai vécu comme la famille entière. Elle était d'une pauvreté inouïe mais je n'ai jamais été malheureux", souligne l'octogénaire, malgré le traumatisme de la séparation d'avec ses parents.
Son père, lui, a été arrêté fin juillet 1944 à Lyon et déporté dix jours après. Il est mort au camp de concentration autrichien de Melk.
Peu disert sur son adolescence, Georges Gumpel, séduit ensuite par l'extrême gauche, évoque volontiers son militantisme contre le racisme et le colonialisme, celui de la France en Algérie ou celui d'Israël dans les Territoires palestiniens.
En mai 1987, il se porte partie civile avec sa mère et ses soeurs au procès "historique" de l'ancien chef de la Gestapo à Lyon, Klaus Barbie, qui avait signé le bordereau de déportation de son père.
"Cela a remis en lumière les crimes contre l'humanité et leur imprescriptibilité", souligne cet éternel insurgé contre les résurgences du passé.
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