Des milliers "d'étrangers sont venus de partout en quête de rubis" à Montepuez, petite ville située à plus de 1.500 km au nord de la capitale Maputo, constate le Dr. Mabota. Et "comme c'est souvent leur seul moyen de subsistance, ils se battent pour la moindre pierre".
La médecin-chef de l'hôpital de Montepuez est aux avant-postes de cette guerre: ses équipes d'urgence en accueillent les victimes, "entre 10 et 13 chaque mois", dit-elle.
"Les mineurs n'hésitent pas à se tuer entre eux", renchérit l'administratrice du district, Etelvina Fevereiro.
Mais ce n'est pas tout. La ruée vers le rubis a attiré à Montepuez des milliers de mineurs informels en quête d'une part du gâteau ainsi qu'une cohorte d'escrocs bien décidés, eux aussi, à en profiter. "Nous avons le crime organisé, des attaques à main armée et du trafic de drogue", énumère Mme Fevereiro.
La criminalité a atteint un niveau tel que les autorités ont lancé en février une vague d'arrestations et d'expulsions sans précédent dans cette région du Mozambique, en Afrique australe. "Nous ramenons l'ordre", promet Mme Fevereiro.
'Gisement exceptionnel'
Le destin de Montepuez a basculé en 2009. Jusque-là, ses habitants étaient passés à côté de ces petits cailloux rouges formés il y a 500 millions d'années dans le lit des rivières.
Il a fallu attendre que l'une de ces minuscules pierres, découverte par un coupeur de bois, soit identifiée il y a huit ans par un revendeur de Bangkok pour que le Mozambique apparaisse sur la carte mondiale du commerce des pierres précieuses.
Le pays "ne savait pas qu'il était assis sur un gisement aussi exceptionnel", s'étonne encore aujourd'hui Pia Tonna, la directrice du marketing de la compagnie Gemfields, une société britannique qui a pris le contrôle de la Mine de rubis de Montepuez (MRM), principal exploitant du site.
Gemfields possède les trois-quarts du capital de MRM, le reste appartenant à une société dirigée par un ex-général membre de la plus haute instance du parti au pouvoir à Maputo.
Sitôt identifiés, les rubis de Montepuez n'ont pas tardé à inonder le marché mondial. L'an dernier, près de 40% de la production vendue dans le monde provenaient du Mozambique, selon Gemfields, qui a vendu depuis pour plus de 225 millions de dollars de pierres.
La société s'enorgueillit d'être un producteur "responsable" et "transparent" et de partager localement ses bénéfices. "Si nos ventes sont bonnes, ça aide le pays, ça signifie plus d'écoles, plus d'infrastructures", proclame Pia Tonna, "nous sommes le premier contribuable de la région".
Mais cette image lisse est entachée de graves accusations.
Exactions
Les forces de police et une compagnie de sécurité privée employée par la direction de la mine sont soupçonnées de recourir à la violence pour se débarrasser des mineurs informels. Les travailleurs illégaux ou informels imputent aussi de nombreuses exactions à une milice désignée sous le nom de "nacatanas", les "porteurs de machettes".
Le patron des opérations de MRM reconnaît que la police et une compagnie de sécurité privée opèrent régulièrement dans sa concession. Mais "en toute légalité", assure Gopal Kumar. "MRM n'encourage jamais les activités violentes, je dis bien: jamais", assure-t-il. "Nous avons une politique de tolérance zéro envers la violence".
Depuis des années pourtant, les témoignages d'interventions musclées ou de violences caractérisées s'accumulent.
Celestino dos Santos Jesus, un fermier du village de Nacole proche de la concession MRM, affirme à l'AFP que son fils a été abattu par la police en 2014. "Il avait 25 ans, il est allé là-bas pour chercher des rubis", se souvient-il, "il a été tué par un groupe de la Force d'intervention rapide" de la police.
Lui n'a pas porté plainte mais, en 2014 et 2015, la justice mozambicaine s'est saisie d'au moins dix cas d'homicides ou de violences dans la concession, selon les médias locaux.
Sollicité par l'AFP, le procureur local n'a pas donné suite.
Un policier a été condamné pour homicide involontaire à l'issue d'une de ces procédures, a confirmé Gemfields, en rappelant qu'aucun de ses agents de sécurité "n'a jamais été condamné pour le moindre délit".
Les accusations de violences ont repris de plus belle ces dernières semaines à la faveur de l'offensive engagée par les forces de l'ordre pour ramener l'ordre dans la région.
Expulsions
"J'ai été capturé à Namucho, ils m'ont pris comme ça, (et m'ont laissé) sans nourriture, sans rien", raconte Mirando Sagres, 26 ans, en montrant des traces de coups qui zèbrent son dos.
Un autre "illégal", Zito Armando, raconte avoir fui par peur de la police. "Ils embarquent les gens dans des voitures et les laissent au milieu de la route à Metero, sans rien. A 100 km de là".
Les autorités évoquent une opération nécessaire contre le travail au noir et les immigrés clandestins. "Les mineurs informels sont interdits dans le monde entier", plaide Mme Fevereiro.
"Les étrangers sont expulsés et les Mozambicains sont renvoyés dans leur province d'origine", ajoute la porte-parole de la police de la province, Malva Brito. Elle aussi nie toute brutalité. "S'il y en avait eu, elles auraient été signalées au procureur. A ma connaissance, ce n'est pas le cas".
Ces dernières semaines, plus de 3.700 illégaux ont été arrêtés, dont deux tiers d'étrangers en situation irrégulière, selon la police.
L'efficacité de ces rafles massives reste toutefois à démontrer. Car la plupart des mineurs informels délogés ont promis de revenir.
"Nous n'avons pas de travail, nous n'avons rien", plaide Adolfo Francisco, 28 ans. "Nous n'avons pas d'autre choix que de venir suer ici pour que nos enfants puissent aller à l'école".
L'épopée du Far West du Mozambique est loin d'être finie.
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