Cheveu court blond, regard bleu, épaules de boeuf taillées sur les rings de boxe, l'homme en impose. Le garçon rabroué par ses camarades de classe a depuis longtemps disparu sous une gangue de muscle et de tatouages.
A l'âge des premiers flirts et des compositions de littérature, il s'est engagé au service de skinheads pénétrés de mythologie nordique et de négationnisme, convaincus de la supériorité de la "race blanche", pour beaucoup d'entre eux délinquants et toxicomanes.
Avant de tourner la page: son énergie, il la consacre désormais à accompagner collégiens et lycéens et les mettre en garde contre les appeaux de la haine dans un pays de 10 millions d'habitants qui a accueilli près de 300.000 migrants depuis 2014.
"Aujourd'hui le monde est différent. Donald Trump est président des Etats-Unis et les Démocrates de Suède (formation d'extrême droite représentée au Parlement) auront peut-être bientôt le pouvoir dans notre pays", prévient-il dans un entretien à l'AFP.
L'éducateur de 27 ans vit seul dans une ancienne cabane de plage sur les rives du Vänern, le plus grand lac de Suède, à trois heures de route au sud-ouest de Stockholm. Un hâvre qui invite à la méditation et au souvenir. Calmement, il se raconte.
'Etre quelqu'un'
Gamin renfermé, Kimmie était rudoyé à l'école par ses camarades et certains professeurs. Pour tuer le temps, il collectionnait les objets trouvés dans la rue.
Lorsqu'un jour, à 12 ans, il est tombé sur un CD d'Ultima Thule, un groupe de rock nationaliste qui tourne en boucle dans les réunions de militants néonazis. C'est la révélation.
"J'ai adoré la musique. La façon dont ils parlaient de la Suède. Je suis devenu patriote, national-socialiste, sans comprendre la signification du nationalisme", confie-t-il.
Très vite, il se rapproche du groupe de skinheads local à Vållberg, bourgade du centre du pays. Sur 3.000 habitants, pas un étranger mais du chômage et un sentiment d'abandon.
La conversion passe d'abord par l'uniforme: à 14 ans, Kimmie se promène le crâne rasé, en bombers et Doc Martens. "J'ai eu une identité, le sentiment d'être quelqu'un".
Entre 2006 et 2008, il est de toutes les manifestations à travers la Suède. Quand il ne fait pas le coup de poing contre l'extrême gauche, il se fait orateur: "Je me souviens avoir inventé une histoire selon laquelle des immigrés avaient grillé des chats au barbecue et les avaient mangés".
Kimmie se désocialise, quitte le lycée, s'essaie aux drogues et cumule les délits : vols, destructions.
Tatouages effacés
Et puis la bascule s'annonce, presque subrepticement, à cause de sa consommation de stupéfiants. "C'est plus intéressant de se droguer". Il s'éloigne peu à peu sans abdiquer sa foi dans le national-socialisme.
Jusqu'à ce qu'il pousse la porte d'un club de boxe et qu'on lui impose un partenaire d'origine iranienne.
"C'était ça ou je n'apprenais pas à boxer", se souvient-il. "C'est à ce moment-là que j'ai arrêté de penser du mal des gens à cause de leur apparence".
Lors d'un séjour en prison pour vol, une professeure de suédois va lui faire définitivement tourner la page du racisme. Pour la première fois il se sent vraiment écouté, c'est une maïeutique.
Mais c'est seulement lors d'une ultime incarcération, alors que sa mère est très gravement malade, qu'il décide de changer.
Il commence à travailler, renouvelle son cercle d'amis en fréquentant ses collègues de travail, écrit des vers.
Sur l'insistance de son ancien instructeur de boxe, il intervient une première fois devant des jeunes.
"J'avais écrit toute ma vie sur 22 pages A4. J'ai lu de la première à la dernière page sans regarder personne dans l'auditoire. Le plus mauvais conférencier du monde", plaisante-t-il.
C'est le début de son engagement. Aujourd'hui, il a effacé certains de ses tatouages "pas vraiment convenables à la piscine" -- il n'en dira pas plus -- et se bat pour que chaque ado soit pris au sérieux.
Rien n'est pire à ses yeux que l'exclusion pour confirmer un jeune dans sa dérive.
"Il faut leur manifester de la tolérance, et discuter au lieu de fermer la porte et de laisser un groupe seul dans son ressentiment et renforcer sa haine jusqu'à devenir violent et dangereux".
Exemple de rédemption, Kimmie Åhlén a participé l'an dernier à une conférence de l'Unesco sur la prévention de l'extrémisme violent à New Delhi.
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