"Mon bourreau est mort tranquillement avec sa retraite de chirurgien. Moi j'ai eu une vie de merde." A 52 ans, Vincent Guillot porte le combat de milliers de personnes aux quatre coins du monde. Il parle de lui tantôt au masculin, parfois au féminin.
"J'ai été déclassé par injonction sociétale", souffle ce grand blond mince au cou entouré d'un châle bariolé, opéré à 7 ans alors qu'il n'était "pas malade" mais seulement différent.
Environ 200 bébés naissent chaque année en France atteints d'une malformation génétique du développement sexuel. A partir des années 1960, ces enfants intersexes ont été massivement opérés, selon un rapport sénatorial paru début mars, qui demande "l'indemnisation du préjudice".
"On n'attente pas à un corps en bonne santé, sans urgence vitale. Sinon, on autorise aussi l'excision", tonne Vincent Guillot, à vif.
Car son intersexualité, qu'il revendique fièrement, a ruiné sa vie. Né dans un milieu bourgeois, "on a indiqué à ma mère que j'étais un monstre, narre-t-il. Jusqu'à son lit de mort, elle m'a dit ; +j'aurais préféré que tu meures+".
Caché lors des réunions de famille, régulièrement hospitalisé, il a vu ses frères et soeurs réussir socialement, quand lui était condamné aux petits boulots, à l'usine ou dans des poulaillers. Aujourd'hui, Vincent vit du RSA dans une ferme bretonne.
"Comment se concentrer sur des études quand durant toute ton enfance, il y a un mystère concernant ta sexualité ?", s'interroge-t-il.
Vincent Guillot raconte les médecins "qui prenaient toujours des photos" de ses organes génitaux et le "montraient nu aux étudiants". Faute d'avoir obtenu l'intégralité de son dossier médical, il ne sait pas "ce qu'ils (lui) ont retiré".
Il s'énerve contre les actes de "torture" perpétrés par les blouses blanches à l'encontre des enfants intersexes. Il cite "les filles de 12 ou 14 ans à qui l'on demande de se pénétrer plusieurs fois par semaine avec des dilateurs" sinon "leurs vagins artificiels, comme toute cicatrice, se referment".
'Peur de tout'
Il ne cache pas les antidépresseurs qu'il prend depuis qu'il est adulte. Les lésions neurologiques liées aux chirurgies, qui le font souffrir "en permanence". "Toutes les nuits depuis quarante ans, je fais des cauchemars. J'ai peur de tout."
En 2002, il crée l'Organisation internationale des intersexes "pour que les enfants intersexes ne connaissent pas les souffrances (qu'il a) endurées". A l'ONU, trois instances distinctes l'auditionnent, notamment le Comité contre la torture, et condamnent en 2016 la France pour les opérations réalisées.
La semaine dernière, il fut parmi les premiers à l'Elysée à applaudir le président François Hollande lorsque celui-ci a évoqué ces opérations "qui sont de plus en plus largement considérées comme des mutilations".
Il était encore présent à la Cour de cassation mardi pour l'audience d'un intersexe français, qui demandait que la mention "sexe neutre" figure sur son état civil. Il y a fustigé la "justice de classe" de l'avocat général, qui a appelé à rejeter ce pourvoi.
"On a toujours l'impression que Vincent plaide quand il parle. Car tout ce qu'il dit vient de son vécu personnel ou de celui d'autres intersexes. Il est à l'origine du combat", observe Mila Petkova, l'avocate du requérant.
"Il a une expertise de sa vie qui devient un savoir", affirme le sociologue Eric Fassin, qui a encadré son mémoire sur les intersexes et salue son "courage de convertir une condition de souffrance en un message politique".
Mardi, Vincent Guillot racontait aux médias "l'enfer" qu'est la vie des intersexes. Et la marginalité dans laquelle nombre de ces personnes "détruites" sont cantonnées.
"A Zurich, ironise-t-il, ils voulaient faire de la recherche sur les intersexes. Je leur ai conseillé d'aller dans un cimetière. Chez nous, on est confronté en permanence au suicide."
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