La fabrique des ordures à grande échelle et l'apparition d'une "poubelle monde" est relativement récente. "La croissance exponentielle des déchets a un demi-siècle, pas plus", explique le commissaire de l'exposition "Vies d'ordures" qui dure jusqu'au 14 août, l'ethnologue Denis Chevallier. Elle est aussi inégalement répartie: le sud de la Méditerranée produit ainsi deux fois moins de déchets que le Nord (242 kg par habitant et par an contre 481 kg).
A partir de 450 objets, documents, cartes, films, photos issus des collections du MuCem et du musée du quai Branly, à Paris, ou collectés dans plusieurs pays du bassin méditerranéen, le visiteur passe d'une économie de la récupération, dans laquelle les objets gardent une valeur et sont réutilisés, à une économie de la surconsommation et du tout jetable.
Symboles de ce tout jetable, les sacs plastique, mis sur le marché dans les années 1960, et interdits en France depuis 2016, ont été conservés dans les collections du MuCem. Un échantillon coloré est présenté dans l'exposition.
A côté des déchets visibles, accumulés sous forme de montagnes de détritus malodorantes, des déchets invisibles sont tout aussi nocifs. "Le plastique ne disparaît pas, mais se décompose en infimes particules. Il n'y a pas un endroit en Méditerranée, l'une des mers les plus polluées du monde, où l'on ne trouve pas de plastique", constate le chercheur Yann-Philippe Tastevin, co-commissaire de l'exposition. "On le retrouve dans le nid des cormorans et l'estomac des tortues. 100.000 animaux meurent chaque année d'avoir ingéré du plastique", s'alarme-t-il.
Des obus transformés en bouillottes
La pollution atmosphérique, pas toujours visible non plus, alourdit le poids de la poubelle industrielle, comme par exemple autour du site de Fos-sur-mer, près de Marseille, où "les émissions atmosphériques c'est 100 tonnes de métaux par an, 5.300 tonnes d'oxyde de carbone, 10.000 tonnes d'oxyde d'azote", indiquent les commissaires en soulignant leurs "impacts sur la santé publique".
Deuxième phase de la visite, le ramassage et la collecte des déchets, très anciennes, comme le prouve une collection de balais surveillée par le "Loup d'avril", une oeuvre de l'artiste Lionel Sabatté, réalisée en avril 2012 en récupérant, à la station de métro Châtelet à Paris, des moutons de poussière que l'artiste a ensuite fixés sur une armature métallique.
En vedette, un triporteur récupérateur de déchets extrêmement bariolé. Il est directement venu du Caire, où il a remplacé, en 2010, les charrettes tirées par des ânes.
Plus moderne, une machine de tri industriel fonctionne en temps réel pour extraire la matière valorisable du plastique. "Tout l'enjeu est de trier les sept grandes familles de matière plastique pour pouvoir les réutiliser" en les transformant en matière recyclable, explique M. Tastevin.
Autre étape de ce tour de la Méditerranée des déchets, le réemploi et le recyclage modernes qui ont donné naissance, dans plusieurs pays d'Afrique, à l'artisanat du "tanaké", la confection d'ustensiles et jouets avec le métal des bidons ou boîtes de conserve usagés.
En Afrique du nord, le plastique devient nattes et paniers colorés. Au Maroc, les cordonniers font, à partir de pneus hors d'usage, des sceaux, jarres et sacs. Avant eux, en Europe, des obus de guerre ont été transformés en bouillottes. Et les bédouins syriens ont longtemps fabriqué des cloisons et décorations de tente avec de la laine détricotée.
Aujourd'hui ce sont des réfugiés syriens qui transforment en sac les gilets de sauvetage avec lesquels ils ont traversé la Méditerranée. En Tunisie, le business de la fripe, dont 120.000 tonnes sont importées par an, est florissant.
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