"Les musulmans, il y en a trop! On a été envahis", s'exclame Jean-Louis Vidal, 62 ans, qui saisit un tract pour Marine Le Pen, sur la vaste place sans charme où se tient le marché.
En ce jour de mars, les marchands de saison qui écoulent les premières fraises de Carpentras voisinent avec les stands de vêtements dégriffés, dont l'un vend des voiles islamiques sous blister, généralement tenus par des commerçants d'origine maghrébine. Ce mélange, des électeurs du Front national ne le supportent plus.
"J'aime pas tout ce qui est voilé", s'exclame Thierry Leroy, 52 ans, qui tient un bar-loto. "Faut virer cette racaille, les drogués, les machins..." ajoute ce commerçant qui votera Marine Le Pen, les yeux fermés: "A côté d'elle, il y a que des tocards".
"On est très bien accueillis", se félicite Patrick Suisse, élu municipal FN, qui souligne n'avoir "aucun problème" avec les différentes communautés.
'Sentiment d'abandon'
Le Vaucluse est un terrain fertile pour le FN, depuis l'époque de Jean-Marie Le Pen déjà. Sa petite-fille, Marion Maréchal-Le Pen, élue députée, s'y est implantée. Au Pontet, le maire Joris Hébrard a été élu sur le fil en 2014, puis réélu dès le premier tour après l'annulation du premier scrutin.
"On n'est pas des politiciens de premier plan", explique l'élu, un kinésithérapeute de 35 ans. "On est tout d'abord des élus de terrain qui soutiennent Marine Le Pen."
Christèle Marchand-Lagier, spécialiste du FN à l'université d'Avignon, connaît bien ces élus "issus de la société civile qui tirent profit du "fort ressentiment" envers les politiques traditionnels.
"Derrière les propos" xénophobes ou anti-musulmans des électeurs du Pontet, "il y a souvent autre chose": "un sentiment de relégation à la périphérie, d'abandon", explique-t-elle à l'AFP.
Si le FN attire, c'est que, déçus de la droite et de la gauche, "les gens essaient juste de changer", abonde Etienne Marcel, 86 ans. Au Pontet, "le maire FN a été le premier à écouter les gens": avant, "des notables" dirigeaient la ville, analyse cet électeur proche du PS.
Derrière les cheveux gris de cet ancien de l'usine Saint-Gobain pointe de la nostalgie, quand il évoque les commerces qui ont fermé dans le centre-ville. "Avant il y avait des épiceries, des boucheries, des marchands de chaussures, tout ça a disparu", témoigne également Patrick Suisse. A la place, un hypermarché a poussé.
'Quelqu'un à poigne'
Avec ses zones commerciales et sa prison, Le Pontet ne peut rivaliser avec sa voisine Avignon et la splendeur gothique de son Palais des Papes. La ville comporte plusieurs quartiers déshérités, immeubles décatis et voirie vieillie. Le chômage et la pauvreté sont supérieurs de plus de cinq points à la moyenne nationale - mais moins élevés qu'à Avignon.
Le Pontet n'est cependant pas abandonné: des industries tournent, dont l'usine de soupe Liebig, l'une des plus grandes d'Europe. Placée en zone de sécurité prioritaire (ZSP), la ville a bénéficié de renforts de forces de l'ordre. Le boulodrome couvert, climatisé l'été et chauffé l'hiver, témoigne d'années fastes.
Chaque jour, s'enorgueillit Guy Barbereau, un "historique" du lieu, une centaine de boulistes se retrouvent sous l'imposante charpente de bois. Bien moins qu'avant, grincent d'autres anciens.
Ici aussi, le discours du FN porte. Ce parti "dit la vérité: le tchador, il faut pas le porter" lâche, de la colère dans la voix, Yves, un chauffagiste à la retraite, en empochant quatre euros remportés en taquinant le cochonnet. "On est en France, il faut qu'ils respectent le pays", ajoute ce pied-noir d'Algérie, qui dit vivre avec une pension de 600 euros par mois. Pour "remettre de l'ordre", "il faut quelqu'un à poigne à l'Elysée", ajoute Michel Rufinatto, 78 ans.
Les boules à la main, Saad, 55 ans, né d'un père algérien et d'une mère française, "s'attriste" de ces discours. "Marine Le Pen, ça m'embêterait qu'elle passe. Mais en même temps, je voudrais qu'elle passe pour que les gens voient le résultat."
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