Un mardi matin sec d'hiver. Paul Zilmia tracte pour le candidat de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, sur le marché de l'Alma, quartier nord de Roubaix, au pied d'une ancienne usine textile témoin d'une prospérité passée.
"Non merci, je suis trop déçue !", "Ils agissent tous comme des voleurs !", lui lancent des passants quand il tend un tract. "C'est compliqué d'aborder les gens parce qu'il y a un dégoût de la politique, ils ont le sentiment d'avoir été abandonnés et ils se disent que, quels que soient les politiciens au pouvoir, rien ne change", admet M. Zilmia, né à Roubaix et candidat aux législatives dans la 8e circonscription du Nord.
Dans cette ville de près de 100.000 habitants où le taux de chômage atteint 30%, l'abstention était de 31,43% au premier tour de la présidentielle de 2012 et de 64,18% aux régionales de 2015.
Dans le centre-ville, face à l'imposante mairie, Célestin, 39 ans, entrepreneur dans la rénovation énergétique, explique qu'il ne "vote jamais", car "personne ne (le) représente".
"On a des difficultés à trouver un emploi, à trouver un logement et aucun candidat ne propose des solutions. Avant de nous parler de baisses d'impôts, il faut déjà en payer des impôts, avant de savoir à quel âge on va prendre sa retraite, il faut déjà avoir un emploi", s'emporte-t-il.
"Je n'irai pas voter, c'est sûr. Je suis de droite, mais même la droite me déçoit avec l'affaire Fillon. Ici, on n'a pas de travail, les logements sont difficiles à avoir et les politiques, ils s'en mettent plein les poches, à quoi ça sert de voter pour des dirigeants qui ne savent pas faire leur métier ?", se demande, dépité, Samir,32 ans.
"L'abstention est forte dans les quartiers où il y a un décrochage social important. Presque 45% vit en dessous du seuil de pauvreté, quand vous êtes en survie, vous ne pensez pas au reste", analyse Max-André Pick, premier adjoint au maire LR de Roubaix.
'Abstention militante'
Depuis 2002, Bruno Lestienne et son collectif "Je pense donc je vote" labourent le terrain pour inciter les gens à aller voter, mais cette année, il se demande "si ça sert à quelque chose".
"Face à nous, on a des politiques qui font tout pour que les gens s'abstiennent, ce qu'on entend de la campagne ce sont des bisbilles à droite, à gauche et pendant ce temps là, les gens sont toujours dans la galère, ils en ont marre", affirme-t-il.
Si pour lui, il s'agit surtout "d'une abstention militante" avec "une volonté de ne plus créditer le système", pour Myriam Cau, élue d'opposition EELV à Roubaix, il existe aussi une "abstention silencieuse".
"Je fais souvent du porte-à-porte et j'ai l'impression que beaucoup de gens ne captent plus les politiques, ils n'y croient plus, ils ne sont même pas vindicatifs, ils nous disent +Amusez vous là-haut, de toute façon, vous ne ferez rien pour nous+", rapporte l'écologiste.
D'après Julien Talpin, sociologue spécialiste de la politisation des classes populaires, l'abstention à Roubaix n'est "pas surprenante au regard de la composition socio-démographique de la ville": "plus on est dans les territoires populaires, moins on vote", explique-t-il.
Par ailleurs, selon lui, "les inégalités qu'expérimentent au quotidien les descendants de l'immigration, numériquement importants à Roubaix, viennent saper leur participation à la vie de la cité, ils se détachent d'une société où ils se sentent exclus".
Et si en 2012, "il y avait une volonté de sanctionner Sarkozy, considéré comme un adversaire des quartiers populaires", cette fois "le désenchantement par rapport au quinquennat sortant va rendre la mobilisation extrêmement difficile", prédit-il.
Même "un FN fort n'est plus suffisant pour donner l'énergie d'aller voter contre, à défaut de voter pour", prédit Myriam Cau.
Et à tout prendre "je préfère même que le FN passe, ça permettra d'éveiller les consciences, je préfère avoir affaire au loup, qu'au renard", pense Célestin.
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