Le sujet est sensible en France, où le récurrent débat sur la laïcité, la place de l'islam et la neutralité religieuse s'est invité dans un monde du travail peu habitué à gérer des revendications communautaires.
Dans deux arrêts, la juridiction basée à Luxembourg a jugé mardi qu'"une règle interne d'une entreprise interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux ne constitue pas une discrimination directe". Elle a souligné que cette prohibition doit être justifiée par la poursuite d'"un objectif légitime", par exemple une politique affichée de neutralité vis-à-vis des clients.
Quand cette règle interne n'existe pas, en revanche, "la volonté d'un employeur de tenir compte des souhaits du client de ne plus voir ses services assurés" par une salariée voilée "ne saurait être considérée comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante".
La CJUE se prononçait sur deux dossiers, en Belgique et en France, de femmes musulmanes estimant avoir été discriminées au travail, en l'occurrence licenciées, car elles portaient le voile. Ce sera ensuite à chaque juridiction nationale - en l'espèce, en France, à la Cour de cassation, dont les décisions font jurisprudence -, de résoudre chaque affaire "conformément à la décision" de la CJUE.
Faut-il en attendre un bouleversement du droit français? Non, estime l'Observatoire de la laïcité. Cette instance dépendant de Matignon y voit surtout le moyen de "préciser l'application des restrictions à la manifestation des convictions individuelles".
'Faciliter la vie des entreprises'
Car ces limitations existent déjà, pourvu qu'elles soient "non discriminatoires", "justifiées" et "proportionnées au but recherché", rappelle l'observatoire dans son guide sur la "gestion du fait religieux dans l'entreprise privée". Elles visent non seulement le refus du prosélytisme mais aussi le respect de l'hygiène, de la sécurité et des "impératifs commerciaux liés à l'intérêt de l'entreprise".
En outre, la loi El Khomri du 8 août 2016 a mis à l'honneur le règlement intérieur, qui "peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité", en particulier si c'est justifié "par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise".
Pour Me Joël Grangé, avocat au cabinet Flichy, spécialisé en droit social, la décision de justice européenne, en précisant le cadre légal, "va faciliter la vie des entreprises, qui ont maintenant un guide plus précis: elles savent qu'elles ne peuvent interdire le voile islamique mais qu'elles peuvent, vis-à-vis de la clientèle, interdire le port de tout signe religieux, politique ou philosophique à condition qu'elles l'aient édicté comme un principe général".
"Un règlement intérieur peut prévoir, désormais, l'interdiction des signes religieux, comme le voile, dès lors qu'elle constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante", comme l'impératif de sécurité, retient de la décision Me Sylvain Niel, du cabinet Fidal. Mais "il va falloir tourner habilement les clauses du règlement intérieur (...). On n'a pas fini d'en débattre", estime cet avocat en droit social.
Directeur de l'Observatoire du fait religieux en entreprise, Lionel Honoré salue une décision européenne "relativement importante".
"On était en train de basculer d'une logique à la française, qui demandait au salarié de s'adapter à son entreprise, à une logique américaine, où c'est l'inverse. La Cour de justice européenne renforce la logique à la française", estime cet universitaire.
"Cela va permettre aux entreprises confrontées à des difficultés réelles ou sérieuses - il s'agit d'une toute petite partie, on est dans le microphénomène - de mettre en place des limitations à l'expression religieuse sur le lieu de travail", fait-il valoir.
Mais ce chercheur n'y voit pas la victoire des tenants des "chartes de la laïcité" en entreprise, comme celle - controversée car perçue comme illégale - adoptée en 2014 par l'entreprise de recyclage Paprec: "Nous restons dans une solution d'accommodements raisonnables, au bénéfice de l'entreprise."
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