Le style est unique. Des motifs géométriques et très colorés qu'elle dessine avec une plume de poulet, directement inspirés des décorations que les femmes de son ethnie ndebele peignent depuis des générations sur leurs maisons.
De ce qui n'était dans son enfance qu'un apprentissage traditionnel, Esther Mahlangu a fait une signature artistique.
Ses toiles ont été exposées dans les galeries les plus prestigieuses de la planète, du British Museum de Londres au Centre Georges Pompidou à Paris ou à la Biennale de Lyon, en France.
Ses dessins ont dépassé le seul domaine de l'art pour s'inviter dans celui de la consommation de masse. Aujourd'hui, des bouteilles de vodka de luxe, des chaussures et mêmes des voitures ont porté sa marque si caractéristique.
Dans son petit village poussiéreux de la province de Mpumalanga (nord-est), rien ne distingue pourtant Esther Mahlangu des autres grand-mères.
Dans sa jupe traditionnelle à perles, le cou et les jambes encerclés d'anneaux de cuivre, elle balaie la cour devant sa hutte.
"Pas de reniement"
"Travailler avec des gens célèbres ne m'a pas changée", assure-t-elle avec fermeté. "Rien ne m'impressionne et je n'ai jamais renié ce que je suis pour m'adapter à leur culture".
La peintre ne reconnaît qu'une seule concession à la modernité: pour colorer ses oeuvres, elle a abandonné les pigments naturels de bouse de vache utilisés par ses ancêtres au profit de la très moderne peinture acrylique.
Esther Mahlangu a connu la consécration artistique à 54 ans, lorsqu'elle a été invitée à Paris au Centre Pompidou. L'artiste se souvient de son séjour en 1989 comme si c'était hier.
"C'était mon premier voyage à l'étranger et on m'a demandé de peindre une maison qui ressemblait à la mienne", raconte-t-elle. "Je l'ai fait avec des plumes de poulet, sans pinceaux (...) comme me l'avaient enseigné ma mère et ma grand-mère".
L'artiste s'étonne encore aujourd'hui de l'intérêt suscité par son travail, qui l'a convaincue de le transmettre aux jeunes générations."Mon objectif, c'est de préserver la culture ndebele, je ne veux pas qu'elle se perde dans la civilisation actuelle."
Si elle se dit surprise par son succès, Esther Mahlangu semble en avoir rapidement compris le potentiel commercial.
Le célèbre constructeur automobile allemand BMW a fait appel à elle à deux reprises pour recouvrir ses modèles de luxe de ses inimitables motifs ndebele, succédant à des artistes aussi réputés et établis qu'Andy Warhol ou Roy Lichtenstein.
Succès automobile
"Peindre cette voiture m'a beaucoup plu", dit-elle, "je le referai bien volontiers".
"Sa" berline a fait le tour de la planète, de galeries en musées, et largement contribué à asseoir sa notoriété internationale.
Dans son Afrique du Sud natale, le talent d'Esther Mahlangu a tardé à éclore. L'artiste maintient que la quête de célébrité n'a jamais inspiré son travail artistique.
Dans une pièce de sa hutte à toit de chaume qui lui sert à la fois de maison, de galerie d'exposition et d'atelier, un petit secrétaire en bois suggère toutefois que sa renommée et son image ne lui sont pas complètement indifférentes.
Des dizaines d'éloges et de remerciements y sont entassés, au milieu de photos la représentant avec des célébrités, du chanteur de RnB John Legend à l'actrice Lupita Nyongo en passant par de nombreux hommes politiques...
"Les gens n'ont longtemps considéré le travail d'Esther que comme de l'artisanat", explique le directeur de la Melrose Gallery à Johannesburg, Craig Mark. "Elle n'est considérée en Afrique du Sud comme une artiste que depuis très peu de temps."
Craig Mark expose en ce moment une collection de ses oeuvres les plus récentes: Esther Mahlangu y rend hommage à Nelson Mandela en recouvrant des copies de dessins faits par l'icône de la lutte anti-apartheid avec des motifs ndebele.
A l'occasion du vernissage de son exposition, la petite octogénaire au visage fripé de rides a assuré à ses admirateurs qu'elle n'avait pour l'instant aucune intention de prendre sa retraite.
"Je n'ai peut-être plus la même énergie que celle que j'ai pu avoir, mais je peux toujours faire tout ce que j'ai à faire".
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