La campagne sans précédent lancée fin juin par le président Rodrigo Duterte pour éradiquer les réseaux de la drogue a fait plus de 6.500 morts. Leurs proches sont les victimes ignorées de cette répression qualifiée de "guerre contre les pauvres" par les défenseurs des droits de l'Homme.
Sally Antonio, 43 ans, a perdu son fils de 19 ans -qui faisait en grande partie bouillir la marmite familiale avec son salaire de serveur- et son mari chômeur quand la police a mené voici six mois une descente antidrogue à leur domicile, et les a abattus.
"Quand ils ont tué mon fils et mon mari, ils m'ont tuée moi aussi", dit-elle à l'AFP, expliquant comment elle a été forcée d'occuper trois emplois pour nourrir ses cinq enfants survivants et son petit-fils.
Parfois, raconte-t-elle, elle ne dort que deux heures par jour pour pouvoir jongler, comme blanchisseuse, coursière et gardienne.
"Parfois, je suis tellement épuisée, mes mains me font trop mal, je dois m'arrêter de travailler un ou deux jours", dit-elle en s'effondrant en larmes. "Je dois alors emprunter de l'argent à mes voisins et il faut qu'on rationne la nourriture".
Sa fille de 18 ans, étudiante en psychologie, a dû renoncer à l'université pour remplacer son père qui s'occupait des enfants plus jeunes.
L'une des inquiétudes majeures de Sally est de ne plus pouvoir payer les médicaments de son fils de 11 ans, qui souffre d'une maladie cardiaque.
Versions contradictoires
"Je suis en colère", poursuit-elle. "Pourquoi ont-ils tué mon mari et mon fils et sacrifié notre famille?"
Elle reconnaît que son époux consommait de la drogue. Mais, dit-elle, il s'était fait connaître des autorités dans le cadre d'un programme de surveillance des toxicomanes et n'était pas un trafiquant. Son fils n'avait rien à voir avec la drogue, il avait simplement supplié les policiers d'épargner son père.
Le rapport de police consulté par l'AFP indique que les agents ont mené une opération antidrogue et ont été forcés d'ouvrir le feu après avoir essuyé des tirs.
Mme Antonio, qui a demandé à être présentée sous un pseudonyme de peur de représailles policières, soutient que ni son mari ni son fils n'ont opposé de résistance.
La police a annoncé avoir tué en huit mois plus en 2.500 toxicomanes ou trafiquants en état de légitime défense. Plus de 4.000 personnes ont été tuées dans des circonstances non élucidées.
Les défenseurs des droits accusent les policiers d'inventer cette légitime défense de toute pièce. Amnesty International estime qu'ils sont peut-être coupables de crimes contre l'humanité.
M. Duterte avait remporté la présidentielle en promettant d'éradiquer le trafic de drogue et de faire tuer des dizaines de milliers de personnes. Il a dit qu'il serait "heureux de massacrer" trois millions de toxicomanes mais assure que la police n'a pas l'ordre de commettre des actes illégaux.
D'après Amnesty, les victimes sont essentiellement les habitants des quartiers pauvres, et bien souvent des hommes qui sont le principal gagne-pain de leur famille.
Impact psychologique
"Ces décès placent les familles dans des situations financières encore plus précaires (qu'auparavant), leurs proches qui survivent sont plein d'amertume car ils voient que les autorités visent en premier lieu les pauvres", écrivait l'ONG en février.
Rodrigo Duterte est furieux de ces commentaires sur les pauvres. Il a accusé les petits dealers de "gagner beaucoup d'argent" et déclaré qu'ils jouaient un rôle crucial dans les réseaux de distribution. "Peu m'importe que vous soyez le plus gros trafiquant de drogue, ou le plus pauvre, vous conspirez tous pour détruire le peuple", a-t-il lancé récemment.
L'Eglise catholique joue un rôle croissant pour soutenir les familles, financièrement et psychologiquement.
Pour Dennis Febre, qui dirige un programme d'aide aux familles dans une église de Manille, les assassinats de suspects créent plus de problèmes qu'ils n'en résolvent: "Ceux qui restent vendent aussi de la drogue ou alors se mettent à la prostitution car c'est une question de survie", regrette-t-il.
Une église de Manille a donné un emploi à Rose Maninggo, 25 ans, après le meurtre de son mari, revendeur de mangues, en janvier.
Mais elle ne sait pas comment elle fera pour nourrir ses deux enfants quand cet emploi, qui lui rapporte l'équivalent de neuf euros par jour, prendra fin dans deux mois. Et l'impact psychologique est lourd.
"Je ne me sens pas en sécurité. Je rêve de mon mari étendu dans des mares de sang, qui me réclame justice. Je suis inquiète pour mes enfants, je veux qu'ils soient en sécurité", dit Mme Maninggo, dont ce n'est également pas le vrai nom.
Sally Antonio, elle, déplore de ne pouvoir endosser un rôle qui manque cruellement dans la famille: "Mes enfants grandissent sans père. Ce n'est pas juste la perte financière, c'est son rôle de guide, son attention qui nous manquent. Cela, c'est irremplaçable".
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