Mentionné par des écrits européens durant la colonisation britannique de l'Inde, le tour de la corde magique des fakirs - qui consiste à faire monter une corde dans le ciel au seul son de la flûte - avait quelque chose de mythique. Les spécialistes doutaient même qu'il ait jamais existé.
Aucun magicien contemporain ne l'avait réalisé jusqu'à Ishamuddin Khan.
"On m'a classé comme le vingtième meilleur magicien du monde. J'adore me produire dans la rue, mais aux yeux de la loi je ne suis pas un artiste de rue, je suis un mendiant", une activité prohibée, dit ce quadragénaire à l'AFP.
Sa cahute se niche dans une allée puant les effluves d'égouts à Kathputli Colony, dans le sud de New Delhi.
Malgré l'enthousiasme qu'ils peuvent susciter à l'étranger, et bien que l'Inde ait une riche tradition artistique et mystique, les magiciens comme M. Khan sont rarement célébrés dans ce pays. Les artistes de rue vivent souvent dans la misère, habitant dans des bidonvilles sans eau courante ni toilettes.
Ils risquent quotidiennement d'être harcelés par la police, qui demande des pots-de-vin pour tolérer des emplacements sur des trottoirs ou qui menace de les arrêter. Car en vertu d'un vieux texte contre la mendicité, le Bombay Prevention of Begging Act, des millions de saltimbanques sont considérés comme une nuisance publique.
Ils se produisent donc en toute illégalité.
"En Inde, le talent ne suffit pas", constate Ishamuddin Khan en regardant avec mélancolie le panier de sa corde et ses accessoires de tours de magie rangés dans un coin.
Célébrité et sponsors
Né d'un père dresseur de singes et d'une mère chiffonnière, Ishamuddin a très tôt montré une appétence pour la magie, apprenant les ficelles du métier de son père et de son grand-père. Bien vite, il sut se volatiliser ou faire sortir des boules de fonte de sa bouche.
Mais c'est le mystérieux tour de la corde qui l'intriguait le plus. Après six ans de recherche et d'entraînement, Ishamuddin l'a réalisé pour la première fois au milieu des années 1990, au pied du célèbre minaret Qutb Minar à New Delhi, devant un public de touristes étrangers soufflés.
"En peu de temps, je suis devenu une célébrité mondiale", se souvient-il. Des sponsors se sont intéressés à lui, il a pu se produire à l'étranger.
Une vidéo tournée en Irlande du Nord du 1997 montre l'artiste faisant se dresser la corde en jouant de la flûte. Une jeune spectatrice monte sur la corde roidie à la verticale. A peine redescendue, la corde redevient molle et retombe sur le sol.
Ishamuddin sait que la valeur d'un magicien se mesure à l'étendue de ses secrets. Des coulisses de son tour, il ne dira rien, sinon qu'il requiert plusieurs jours de préparation et un esprit concentré.
- Au pays, ni gloire ni fortune -
Malgré les voyages d'Ishamuddin Khan dans le monde et les spectateurs éberlués qu'il a conquis avec ses tours de magie, la gloire et la fortune ne sont pas au rendez-vous au pays.
Des appels au gouvernement pour amender la législation sont restés lettre morte, mais Ishamuddin ne perd pas espoir.
Il est rentré en contact avec un centre d'aide juridique pour combattre ces régulations obsolètes, une tâche éprouvante dans une Inde réputée pour sa lenteur bureaucratique.
"Je ne peux pas me battre tout seul contre la loi, mais je suis déterminé à ne pas abandonner", dit M. Khan, qui parle couramment hindi et anglais, ainsi que des bribes de français et de japonais, bien qu'il n'ait jamais été à l'école.
"J'adore me produire dans la rue. On devrait me donner un espace pour que je puisse divertir les passants. Est-ce trop demander ?"
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