"Là, c'est après Théo. Chaque année il y a des dérapages de cet ordre", explique jeudi une professeure du lycée Suger, qui préfère rester anonyme. Théo est ce jeune homme dont le viol présumé lors d'une interpellation, début février dans le département, a eu un retentissement considérable.
"On a du mal à les anticiper, car la colère est tellement latente qu'elle peut exploser à tout moment", ajoute celle qui enseigne depuis plusieurs années dans cet établissement de 1.300 élèves, situé dans un quartier réputé difficile.
L'enseignante fait cependant état d'une "gradation" de la violence, depuis "4-5 ans": l'année dernière la façade de l'établissement avait été incendiée. A la rentrée, c'est un surveillant qui avait été blessé à la grille du lycée.
"Et là, pour la première fois, les violences rentrent à l'intérieur de l'établissement", poursuit-elle.
Mardi, des départs de feu et des fumigènes ont été lancés dans l'enceinte de l'établissement. Le lycée évacué, une "centaine" de jeunes sont partis en direction du centre-ville, selon les policiers. Sur leur chemin, ils s'en sont pris aux forces de l'ordre, ont incendié des poubelles et détruit du mobilier urbain. Ils se sont aussi introduits "de force" dans un autre établissement.
Une cinquantaine de jeunes ont été interpellés. La plupart ont été libérés mercredi dans la soirée. Six mineurs ont été mis en examen jeudi et deux placés sous le statut de témoin assisté.
Après ces violences qui ont valu au gouvernement, à quelques semaines de la présidentielle, de vives critiques de la droite et du FN, la ministre de l'Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem a parlé d'une "digue qui semble avoir sauté".
"L'école prise à partie"
Appelant à "sanctionner les casseurs", elle a rappelé que les équipes mobiles de sécurité (EMS) avaient été renforcées à l'automne, notamment dans l'académie de Créteil (+35%) dont dépend la Seine-Saint-Denis, pour accroître la sécurité dans les établissements et à leurs abords.
Du côté des personnels de direction, "l'inquiétude" est également "très forte" depuis la rentrée, explique Didier Georges, délégué du syndicat des personnels de direction (SNPDEN) en Seine-Saint-Denis.
Le syndicat a recensé "au moins six personnels blessés" dans l'académie depuis septembre, soit "autant de personnels blessés en six mois qu'en dix ans auparavant".
Une source policière nuance toutefois l'idée d'un "nouveau phénomène". "Lors des émeutes en 2005, des écoles avaient été entièrement brûlées". Les déclencheurs de telles violences sont variés, ajoute-t-elle. "Vaguement liées à Théo", dans le cas du lycée Suger, elles peuvent aussi résulter d'une volonté de vengeance personnelle.
Cette source cite l'exemple de heurts devant un autre lycée du département en octobre. Une proviseure avait été frappée et quatre cocktails Molotov jetés sur la façade. "L'enquête a montré que les violences étaient liées à une volonté de régler ses comptes avec le principal, qui avait pris une mesure de sanction contre un élève."
Professeurs et parents d'élèves s'accordent toutefois sur le sentiment de "malaise" persistant à l'égard d'une institution jugée incapable de tenir ses promesses.
A l'unisson des enseignants, Rodrigo Arenas, président pour la Seine-Saint-Denis de la fédération de parents FCPE, réclame des "moyens humains". "L'école est prise à partie car, dans les quartiers, c'est parfois la seule représentation de la puissance de l'État."
Or, assène-t-il, "en Seine-Saint-Denis, les politiques ont échoué ces 30 dernières années. Il suffit de regarder le taux de chômage". 13,2% en 2015 selon l'Insee, et bien plus chez les jeunes dans certains quartiers.
"Il y a un mal profond qu'on refuse de traiter", ajoute la professeure du lycée Suger, qui met en garde: "Si l'institution n'écoute pas ces lanceurs d'alerte", les violences "recommenceront".
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