"Si on me renvoie dans mon pays, je suis mort", dit laconiquement Ataï, un Tchadien de 32 ans, qui explique avoir participé aux manifestations, violemment réprimées l'été passé par les militaires, à la suite de la réélection du président Idriss Déby.
Depuis six jours, Ataï occupe la chambre 42 de la Zone d'attente pour personnes en instance de Roissy (Zapi), un vaste complexe dit "hôtelier" situé au bord des pistes du deuxième aéroport d'Europe.
Demandeurs d'asile, détenteurs de faux-papiers ou sans l'un des justificatifs requis pour l'entrée en France (visa, réservation d'hôtel ou attestation d'accueil, viatique, assurance, billet retour), les "inadmis" peuvent y être maintenus jusqu'à 20 jours à partir de la notification de refus d'entrée sur le territoire français délivrée par la Police aux frontières (PAF). Le temps "d'assurer l'efficacité des décisions de refus d'entrée", selon le ministère de l'Intérieur.
"Clairement, l'objectif du maintien est le renvoi vers le pays de provenance ou d'origine", assène Laure Palun, coordinatrice de l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé), qui tient une permanence dans la Zapi.
"Certaines personnes sont reconduites une demi-heure après leur descente d'avion, les agents de la PAF n'informant pas toujours les personnes de l'intégralité de leurs droits", déplore Mme Palun, dénonçant "une course contre la montre".
Violations du droit des étrangers, conditions sanitaires dégradées, violences physiques et verbales lors des entretiens de contrôle avec la police, "les zones d'attente sont des espaces largement marquées par l'opacité des pratiques administratives et policières", dénonce l'Anafé.
Interrogée par l'AFP, la Direction centrale de la police aux frontières se défend et assure qu'"aucun manquement n'a été relevé au sein de l'unité en charge de la Zone d'attente, ni en aérogares sur les contrôles de première ligne".
Régime minimum
D'une capacité de 169 places dont six réservées aux mineurs isolés dans une zone séparée, la Zapi de Roissy est accessible par une large grille automatique appelée "le portail des inadmis". Le bâtiment au bord des pistes est entouré de caméras et d'un grillage.
A la Police aux frontière, on insiste pour dire que "ce n'est pas une prison". A l'intérieur, pas de régime carcéral en effet, les "inadmis" sont libres de circuler, mais le régime du minimum: minimum d'intimité, minimum d'hygiène, minimum de confort.
Toilettes et douches communes sont dans le couloir et une cour extérieure, entourée d'un grillage de plusieurs mètres de hauteur surmonté d'un fil barbelé, est désignée "zone de détente".
"Les conditions sont modestes, mais correctes", résume Bernard Hohl, directeur du bureau de la Croix Rouge à Roissy, chargée de l'attribution des chambres et de l'accompagnement humanitaire des personnes maintenues.
Dans chacune des chambres numérotées, deux lits, deux tables, une armoire métallique, pas de chaise. Et derrière les fenêtres aux vitres blindées sans poignées, le ballet des avions.
Ici, "on tue le temps", raconte un "inadmis". Dans les couloirs éclairés par des néons, les maintenus déambulent, échangent quelques mots, généralement regroupés par nationalité ou langue.
Régulièrement, les haut-parleurs crachent le nom d'un "inadmis", appelé pour une visite d'un avocat ou pour être présenté à un juge.
Appuyée contre le mur près de la rangée de téléphones, quasi unique lien avec l'extérieur, Aïssata, une Malienne de 29 ans, attend depuis plusieurs jours. "Mes parents doivent me rappeler du Mali. Ils pourront m'aider. Je veux juste qu'on me libère", dit la jeune femme au bord des larmes. Elle dit avoir vaguement compris qu'il s'agissait d'"un problème de visa".
A côté d'elle, Wei, 24 ans, est arrivé de Chine à l'aube. Il lui manque une attestation de sécurité sociale pour "visiter Paris", dit-il. "C'est mon premier voyage en Europe, je viens juste pour m'amuser en France!", explique le jeune homme aux allures d'étudiant.
Une part d'échec
Pendant toute la période de maintien, la PAF peut tenter à tout moment d'embarquer la personne dans un avion à destination de son pays de provenance, hors procédure suspensive de demande d'asile, les frais de retour étant à la charge des compagnies aériennes.
Au bout de quatre jours de maintien, la procédure administrative prévoit que seul une Juge des libertés et de la détention (JLD) du tribunal de grande instance de Bobigny peut prononcer une prolongation d'une durée de 8 jours, renouvelable une fois.
"La plupart des personnes enfermées dans la zone d'attente n'ont rien à y faire", regrette Patrick Henriot, ancien premier vice-président du TGI de Bobigny, aujourd'hui membre du Groupe d'information et de soutien des immigrés (Gisti). Il dénonce "une gestion essentiellement sécuritaire de l'immigration par l'administration".
"Un des premiers objectifs de la PAF, c'est faire savoir qu'on n'entre pas facilement en France et ainsi décourager les candidats à l'immigration", explique-t-il.
Selon le TGI de Bobigny, sur les 2.045 "inadmis" présentés à un JLD et pour lesquels le juge s'était prononcé en faveur d'un renvoi, 172 ont finalement été remis en liberté car le délai maximum de 20 jours de maintien était dépassé. "Il y a une part d'échec procédural de la justice", reconnaît le président du TGI de Bobigny, Renaud Le Breton de Vannoise.
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