C'est une course contre la montre qui se joue entre deux camps d'une droite désormais fracturée: d'un côté, François Fillon et ses soutiens qui rétrécissent comme peau de chagrin, de l'autre, les juppéistes, historiques ou récemment convertis, qui veulent tous voir leur champion représenter la droite et le centre les 23 avril et 7 mai prochains.
"La base, elle, elle tient", a réagi M. Fillon, en déplacement jeudi à Nîmes. La veille, dans une déclaration "aux Français", le candidat avait annoncé sa convocation par les juges le 15 mars dans l'affaire des emplois présumés fictifs de son épouse et de deux de ses enfants, et sa prochaine "mise en examen".
"Impossible de continuer dans ces conditions", ont aussitôt réagi de nombreux élus. Bruno Le Maire, candidat à la primaire, avait été le premier à tirer, en démissionnant, mercredi, de toutes ses fonctions auprès du candidat, suivi par ses soutiens, les députés Franck Riester ou Sébastien Lecornu, directeur-adjoint de campagne de M. Fillon.
L'hémorragie s'est amplifiée avec les proches du maire de Bordeaux,: son fidèle parmi les fidèles Gilles Boyer, la sénatrice Fabienne Keller, les députés Benoist Apparu, Edouard Philippe et Christophe Béchu, ou encore Vincent Le Roux. Au QG du candidat, les juppéistes faisaient tous leurs cartons.
D'autres restent prudents, optant pour les confidences en "off". Mais l'état d'esprit est le même. "Il faut que Juppé sorte rapidement du bois, s'il ne le fait pas dans les quinze jours qui viennent, nos cadres filent chez Macron, notre électorat chez Marine Le Pen", met en garde un ancien ministre.
L'inquiétude est d'autant plus forte que le programme présenté jeudi par l'ex-ministre de l'Economie, d'inspiration social-libérale, peut attirer une droite en mal de leader.
'Course vers l'abîme'
On plie également bagage au centre. Mercredi, l'UDI avait "suspendu" sa participation à la campagne. Jeudi, les digues ont sauté. Juppé, "ce serait une hypothèse qui ressouderait" les troupes centristes, selon un élu. "Ne laissez pas aux Français un choix pathétique et moribond entre Le Pen et Macron. Pensez à la France!" a tweeté Gilles Bourdouleix, en appelant lui aussi "à la candidature Juppé".
Quant à Alain Juppé lui-même, il attend le moment opportun. "Je ne peux rien dire à ce stade", confiait-il mercredi à l'AFP.
De son côté, François Fillon sait lui aussi qu'il ne lui reste que deux petites semaines avant le gong. S'il tient, grâce à la "légitimité" que lui confère sa large victoire à la primaire de la droite, le 17 mars, il aura sauvé une candidature désormais irréversible.
Mais "s'il y va, c'est mort pour nous", lâche un autre ancien ministre, "avec un gros risque de voir Le Pen remporter la présidentielle. On sous-estime l'importance de l'électorat" de la présidente du Front national, dit le même.
Dominique de Villepin a beau affirmer que "Fillon emporte son camp dans une course vers l'abîme", le sarkozyste Gérald Darmanin lancer sur Twitter "j'ai honte de ma droite", Patrick Stefanini, son fidèle directeur de campagne, hésiter à démissionner ("Il faut que tu te retires", a-t-il dit mercredi au candidat, ajoutant qu'il n'est lui-même "pas certain de continuer"), M. Fillon ne lâche rien.
"Les élus? On fera sans eux", lance-t-il. "Je m'appuie sur les Français."
L'ex-Premier ministre aura l'occasion de mesurer jusqu'à quel point il le peut, dimanche, lors du rassemblement qu'organise pour lui place du Trocadéro à Paris le courant Sens commun, proche de la Manif pour tous. "Si c'est pour manifester contre la justice ou contre la presse, je n'irai pas", assène Nathalie Kosciusko-Morizet.
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