Pan Hsin-hsing n'avait que six ans quand, en 1947, Pan Mu-chih, médecin et acteur de la politique locale, avait été arrêté, torturé et tué, lors d'un massacre précurseur de décennies de répression meurtrière connues à Taïwan sous le nom de "Terreur blanche".
Son père lui écrivit un dernier mot, griffonné sur un paquet de cigarettes, qu'un gardien de prison avait accepté de remettre à la famille: "Ne sois pas triste, je meurs pour les habitants de notre ville. Je meurs sans regrets".
Mardi, M. Pan prononcera un discours lors des commémorations d'hommage aux victimes des soldats du leader nationaliste Tchang Kaï-chek, dont le Kuomintang (KMT) administrait l'île tout juste sortie de la colonisation japonaise. Il va réclamer justice au nom de ceux qui ont perdu un être cher.
Le point de départ de ces massacres fut le passage à tabac d'une vendeuse de cigarettes à la sauvette par un policier à Taipei. Dans toute l'île, la population s'était soulevée. Pendant les semaines qui suivirent ce 28 février 1947- qui a donné son nom aux "incidents du 228", comme ils sont connus à Taïwan - jusqu'à 28.000 personnes avaient été tuées.
Le père de M. Pan, opposant au KMT, avait été passé par les armes avec d'autres responsables politiques dans la ville méridionale de Chiayi, où avaient éclaté des émeutes antigouvernementales.
M. Pan a également perdu son frère de 15 ans, abattu après être parti à la recherche de leur père disparu. La famille avait prétendu que l'adolescent s'était suicidé de peur des répercussions si elle racontait la vérité.
Exigence de vérité
C'est un autre de ses frères qui avait retrouvé leur père agonisant, à la suite de son passage devant le peloton d'exécution, raconte M. Pan, d'une voix qui se brise. Le corps avait été transporté dans la clinique que tenait la victime, attenante au domicile familial.
Un frère et une soeur de cette fratrie de huit ont été emprisonnés pendant des mois, soupçonnés d'être des "espions communistes".
Pendant des années, M. Pan a associé les lys à cette époque terrifiante.
"Je me rappelle que je regardais les lys et que je sentais leur parfum, pendant que les hommes venus présenter leurs condoléances se mettaient en colère et que les femmes pleuraient", dit-il à l'AFP. "C'était difficile à supporter", ajoute-il, expliquant que plusieurs membres de la fratrie ont connu ensuite la dépression.
Le massacre de 1947 fut le prélude à une longue campagne de répression impitoyable sous le règne de Tchang Kaï-chek et de son fils, entre 1949 -- quand les nationalistes se replièrent complètement sur l'île après avoir été défaits sur le continent par les communistes de Mao Tsé-toung -- et 1987, quand la loi martiale fut levée.
D'après les documents officiels, environ 140.000 personnes ont été jugées par des tribunaux militaires sous la "Terreur blanche", et entre 3.000 et 8.000 exécutées. Nombre de spécialistes pensent que ces chiffres sont inférieurs à la réalité.
Tsai Ing-wen, la nouvelle présidente de Taïwan issue du Parti démocrate progressiste (PDP), a promis d'enquêter sur les purges de Tchang Kaï-chek. Mais le premier rapport d'enquête n'est pas attendu avant trois ans et des militants dénoncent l'absence de progrès.
Yeh Hung-ling dirige une association qui aide les familles à récupérer les dernières lettres écrites par leurs proches disparus. Elle demande une nouvelle loi sur les archives pour permettre un plus grand accès aux documents classifiés.
Raser les statues
D'autres militants voudraient voir l'image de Tchang Kaï-chek disparaître de Taïwan. Chaque année le 28 février, des statues sont vandalisées.
M. Pan le considère comme responsable de la mort de son père. Il voudrait qu'un hall à sa mémoire à Taipei soit rebaptisé et sa statue démantelée.
Un rapport financé par le gouvernement avait conclu en 2006 que Tchang devait être rendu responsable des massacres de 1947. Mais les militants disent que sa culpabilité n'a pas été reconnue officiellement, pas plus que pour la répression des décennies suivantes.
"Nous exigeons que la vérité soit faite, que les responsables rendent des comptes, que leurs noms apparaissent dans les archives officielles et les manuels d'histoire", dit Yang Chen-long, qui dirige la Fondation 228. "Nous ne voulons pas la vengeance. Nous voulons la justice".
M. Pan est l'un des premiers Taïwanais à avoir révélé ce qu'avait subi sa famille. Toute discussion sur la répression était interdite sous la loi martiale, avant que Taïwan n'emprunte en 1987 la voie de la démocratie.
Quand il a parlé du traumatisme familial à l'église voici une dizaine d'années, au milieu de fleurs de lys, M. Pan a commencé à perdre sa phobie envers ces fleurs. "Le fait de parler a contribué à guérir cette blessure émotionnelle".
Le paquet de cigarettes de son père est désormais conservé par le Musée 228 de Taipei, de même que sa chemise ensanglantée.
Il faut garder le souvenir des purges, dit M. Pan, pour éviter qu'elles ne se reproduisent.
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