Usés par près de trois ans de crise, nombre d'agriculteurs criblés de dette, qui n'arrivent pas à vendre leurs productions à un prix suffisant pour en vivre, se sont repliés sur eux-mêmes.
Beaucoup se retrouvent dans un système où "plus ils travaillent, plus ils s'enterrent", affirme à l'AFP le président de la sécurité sociale agricole MSA (Mutualité Sociale Agricole), Pascal Cormery.
Les manifestations d'éleveurs contre les prix trop bas durant l'été 2015, avaient culminé par un défilé de tracteurs à Paris. Aujourd'hui, elles se sont éteintes.
Le Salon de l'agriculture, vitrine des réussites du terroir, s'est ouvert samedi sur une note amère, au lendemain du suicide d'une agricultrice, retrouvée pendue dans sa salle de traite.
'+Ils+ veulent nous supprimer'
En 2016, le nombre d'appels à l'aide enregistrés sur la plate-forme téléphonique de prévention du suicide mise en place par la MSA, a plus que doublé: 2.664 contre 1.219 en 2015.
"+Ils+ ont décidé de nous supprimer" soupire, sans dire qui elle vise, une visiteuse du salon, découragée.
Pour Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération Paysanne, syndicat marqué à gauche, la baisse du nombre de paysans est comparable à un "plan social".
Entre 2000 et 2015, 92.000 fermes ont disparu, dit-il à l'AFP en fustigeant la course à l'agrandissement, l'apparition des fermes-usines et des process industriels, qui ne rémunèrent pas suffisamment la production.
"Toutes les productions, hormis la viticulture sont dans le rouge", résume Bernard Lannes, président du syndicat Coordination rurale, classé à droite.
La suppression des quotas laitiers européens en 2015 a précipité la surproduction de lait en Europe, débouchant sur une crise de l'élevage laitier, puis bovin.
La crise, le président de la MSA "ne parle que de ça" depuis qu'il a pris ses fonctions en 2015.
Lui-même agriculteur, M. Cormery met aussi en cause "le coût de la mécanisation agricole dans les exploitations", "deux à trois fois supérieur" à celui des autres pays européens.
La MSA est aux premières loges de la déchéance sociale vécue de façon honteuse et solitaire par une partie de ses adhérents.
En 2016, "plus de la moitié" des agriculteurs ont eu un revenu annuel imposable inférieur à 4.248 euros, subventions européennes comprises, soit moins de 354 euros par mois. Ils étaient déjà 38% en 2015.
Comment vivre avec si peu ? "Ceux qui ont du terrain vendent une parcelle, mangent les économies quand ils en ont, ou s'endettent encore plus", dit-il, en s'inquiétant de la "différence de traitement" entre départements pour l'éligibilité au RSA des agriculteurs.
"On a des gens qui ont abandonné la vie normale, certains n'ouvrent plus leur courrier depuis deux ans" raconte-t-il.
L'épuisement moral s'associe aussi souvent à une pudeur qui confine à la fierté. "Dans la région Centre, nous avons proposé de monter un dossier auprès de l'agence nationale pour l'amélioration de l'habitat à une famille dont la maison en état d'abandon était devenue insalubre. Ces gens ont refusé. Et pourtant les portes ne tenaient plus debout, il n'y avait pas de chauffage", dit-il.
La situation est d'autant plus délicate à gérer que les situations s'enveniment lentement. La dépression de certains éleveurs a des répercussions sur le troupeau. "Je suis intervenu dans une ferme où 30 vaches étaient mortes, de faim, de soif, d'absence de soin, l'éleveur n'était plus en situation psychologique de faire face" confie un vétérinaire du salon.
Conséquence de ces drames en chaîne, la MSA qui a mis en place différents programmes d'aide, se demande comment elle va se financer. Le montant des cotisations encaissées, indexées sur le revenu imposable, chute.
"En 2016, nous pensons perdre 2,15 milliards d'euros en cotisations, soit une chute de 26% par rapport à 2015", dit le président de la MSA.
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