L'article controversé fait partie d'un texte plus vaste, adopté jeudi par le Parlement, qui double les délais de prescription pour les crimes et délits. Il prévoit que les délits économiques (abus de biens sociaux, abus de confiance, prise illégale d'intérêts...) ne pourront plus être poursuivis au-delà de douze ans après la commission des faits, une limite dans le temps qui n'existait pas jusque-là pour ces dossiers.
A titre d'exemple, si cette loi avait été en vigueur quand a éclaté l'affaire des emplois présumés fictifs de l'épouse de François Fillon, une partie de ce dossier qui éclabousse le candidat de la droite à la présidentielle aurait échappé à la justice parce que prescrite (de 1998 à 2005).
"C'est honteux. On protège ceux qui ont les moyens de dissimuler leurs infractions le plus longtemps possible. Désormais, c'est le délinquant le plus habile qui s'en sortira", dénonce Céline Parisot, secrétaire générale de l'Union syndicale des magistrats (USM), principale organisation de la profession.
A contrario, les avocats de grands patrons et de grandes entreprises interrogés par l'AFP saluent une clarification juridique nécessaire.
"Je trouve que 12 ans est un délai raisonnable. La situation d'avant n'était pas saine et beaucoup de professionnels réclamaient un délai final", dit Jean Veil, avocat de plusieurs grandes entreprises, évoquant "un droit à l'oubli". Pour lui, "si le dirigeant a pris l'habitude de commettre des infractions, elles seront poursuivies, et s'il n'a commis aucun acte répréhensible depuis 12 ans", il faut considérer qu'il s'est "amendé".
Jurisprudence dérogatoire
"Il y aura peu d'affaires qui échapperont totalement aux poursuites, seules certaines parties risquent d'être prescrites", abonde son confrère Jean-Alain Michel.
En général, le délai de prescription d'un délit débute au moment où il est commis. Mais en matière économique et financière, les délits étant souvent dissimulés, la Cour de cassation a imposé en 1967 une jurisprudence dérogatoire: le délai de prescription (trois ans, porté à six ans par la nouvelle loi) démarre à partir de la révélation des faits délictueux, ou plus précisément "à partir de la date où l'action publique a ou aurait pu être engagée".
Les détournements d'argent par un patron qui contrôle les comptes de son entreprise pourront par exemple n'être découverts qu'à l'occasion du rachat de la société, souvent de nombreuses années après la commission du délit, et c'est pour cette raison que ces règles spéciales ont été instaurées.
Jusqu'ici, au nom de ce principe, les poursuites pouvaient être engagées sans limite de temps par rapport à la commission des faits, seule comptait la date de leur révélation. Mais au nom de la nécessité de corriger une "insécurité juridique", les parlementaires ont introduit dans la réforme adoptée jeudi un second mécanisme de prescription qui interdit désormais toute poursuite au-delà de 12 ans après leur commission.
Dans le passé, le législateur avait déjà tenté de modifier les règles - projets Mazeaud en 1995 ou Alliot-Marie en 2010 qui proposaient une prescription de six ans après la commission des faits -, mais les textes avaient dû être abandonnés face au tollé.
"Le législateur a repris de la main gauche ce qu'il a donné de la droite", analyse Clarisse Taron, présidente du Syndicat de la magistrature (SM), classé à gauche, qui dénonce "un régime plus favorable" aux délinquants en col blanc.
Pour le président de l'association anticorruption Anticor, Jean-Christophe Picard, "le diable se cache dans les détails et ce texte va compliquer la lutte contre la corruption". Pour contrebalancer, il faut maintenant "plus de transparence et une augmentation des contrôles", plaide-t-il.
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