"Le bilan est positif", assurait le 9 février Bruno Morel, directeur général d'Emmaüs Solidarités. Plus de 5.000 personnes ont été prises en charge dans ce centre ouvert par la Ville dans le nord de Paris en trois mois de fonctionnement, dont 3.740 hommes, notamment Afghans (40%) et Soudanais (30%).
Mais ces derniers jours, une même inquiétude revient sur le terrain.
"C'est tendu depuis une semaine", estime une source policière, qui relève que "les Soudanais et les Afghans (...) ne sont pas des copains". "C'est compliqué", assure Ivan, de l'association Utopia 56, partenaire d'Emmaüs sur le projet.
"Depuis deux semaines, il y a plus de monde. C'est tendu", dit aussi Laurence, du collectif "Solidarités migrants Wilson", venue distribuer des petits-déjeuners: "On a 50 litres de chaud, le lait part à toute vitesse, je ne sais pas si ça va suffire".
Le nombre de migrants dormant autour du centre s'élèverait, selon plusieurs sources, à 400 environ, le long des grilles ou sur le terre-plein du boulevard Ney.
Le matin, ils essayent d'entrer. Ils étaient 150 mercredi, à pousser devant les portes. "One by one! Arrêtez de crier, restez calme, sinon on n'ouvre pas. Don't push!" lance un salarié d'Emmaüs juché sur les grilles.
L'enjeu est d'accéder à ce centre modèle, offrant 400 places, laverie et restauration, pour une durée de cinq à dix jours, avant orientation vers des centres en région où les migrants pourront, s'ils répondent aux critères, demander l'asile.
C'est là que le bât blesse. "Depuis une semaine, ces orientations sont très réduites", s'alarme la maire de Paris Anne Hidalgo dans un courrier envoyé jeudi aux ministres de l'Intérieur et du Logement. La situation pourrait devenir "rapidement insoutenable", ajoute-t-elle.
Transit par l'Allemagne
Car qui dit peu de sorties dit peu d'entrées, avec à la clé un risque de grippage. Chez Emmaüs, on chiffre les admissions à "la moitié" environ du niveau habituel, et les orientations à "un peu moins de 100 sur la semaine".
L'Etat "doit pleinement assumer ses responsabilités pour garantir l'ouverture de structures en nombre suffisant", selon Mme Hidalgo.
Au ministère de l'Intérieur, on reconnaît une période "difficile", avec "un peu moins de monde" envoyé dans les centres. Mais "nous allons faire un effort ce week-end pour donner de l'air" au dispositif.
A moyen terme, des appels d'offres lancés l'an dernier pour 5.000 places devraient contribuer à débloquer la situation au printemps, ajoute-t-on.
Comment expliquer ce phénomène? Certains centres d'accueil et d'orientation (CAO) ont été ouverts dans des centres de vacances qu'il faudra rendre pour les vacances de Pâques, soulignent plusieurs sources.
D'autre part "les gens restent plus longtemps que prévu dans les CAO", explique une source proche du dossier.
Enfin il y a un flux inattendu de migrants ayant transité par l'Allemagne ou la Suède - "70% des arrivées" selon cette source -, pas forcément éligibles à une demande d'asile en France et qui mettent le dispositif à l'épreuve.
Mohammad, un Afghan, a passé un an outre-Rhin. "C'est plus facile ici pour manger, dormir", explique-t-il. Ali, un Libyen, n'a pu obtenir l'asile après huit mois en Allemagne. "La mentalité est plus difficile", dit-il.
Mais pour les pouvoir publics, le risque est clair: "De petits campements sont d'ores et déjà en voie de reconstitution" dans la capitale, note Anne Hidalgo, "précurseurs de campements de plus grande ampleur, semblables à ceux que nous avons connus dans un passé récent".
C'est la situation même que les pouvoirs publics veulent éviter, avec des interventions régulières des forces de l'ordre pour empêcher l'installation de tentes dans les rues.
Cette politique tourne, selon les bénévoles, au "harcèlement", avec la confiscation de couvertures début janvier ou l'installation cette semaine de blocs de pierre sous un pont où dormaient des Soudanais - que la Ville justifie par l'imminence de travaux.
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