Comme leurs parents, les jeunes échangent discrètement publications, vidéos et musique introuvables sur l'île. Mais à l'heure du smartphone et des tablettes importées de l'étranger, ce matériel circule désormais via des disques durs ou clés USB.
Dans le pays communiste où les connections internet sont contrôlées et coûteuses (seulement un tiers des Cubains y ont eu accès en 2015), Javier Peña se vante de pouvoir lire à sa guise la littérature anglo-saxonne qu'il affectionne.
Ce traducteur indépendant de 27 ans au look de "hipster" -moustache stylée, barbe fournie et tatouage au bras- s'est constitué une bibliothèque virtuelle de centaines de titres.
"Chaque fois que quelqu'un vient chez moi avec un disque dur, il me demande: qu'as-tu à échanger? Et moi je lui demande la même chose", explique à l'AFP le jeune homme rencontré aux abords de l'université de La Havane.
Avide de romans et articles en anglais, Javier possède une collection convoitée de "comics" américains qu'il sait valoriser à l'heure des échanges.
Au pays de la débrouille, ce troc d'oeuvres littéraires est monnaie courante. Auparavant, les livres censurés pour "déviance idéologique" circulaient sous le manteau, un seul exemplaire pouvant passer par des centaines de lecteurs.
Du collège à l'université
Neus Pechero, étudiante en lettres de 20 ans aux épaisses lunettes noires, se dit amatrice de littérature américaine. Elle a aussi adopté le support numérique, même si elle confie préférer le papier.
"On a tous les téléphones portables qui nous permettent d'échanger des données via +Zapya+", explique-t-elle au sujet de cette célèbre application permettant d'échanger des fichiers à courte distance sans connexion filaire ni internet.
Et la contagion gagne les collèges. A 12 ans, Taimi Lopez explique que dans son école, une trentaine d'élèves s'échangent des fichiers texte de tous types pendant les récréations.
Dans ce pays au taux d'alphabétisation proche de 100%, des études officielles estiment que seulement 50% des Cubains lisent revues et journaux. A peine 20% vont au bout de deux livres par an. Parmi les étudiants, 60% lisent principalement sur écran et la moitié d'entre eux boudent les bibliothèques.
Avant d'être échangés, de nombreux romans et autres "best-sellers" non publiés à Cuba entrent dans le pays grâce au "paquete", ces gigaoctets de contenus écrits ou audiovisuels qui passent de main en main chaque semaine dans tout le pays.
Pour un dollar, n'importe quel individu équipé d'un disque dur peut ainsi se procurer des dizaines d'heures de programmes TV américains, de musique, des logiciels ou des livres piratés.
Défi pour les autorités
Le vice-président de l'Institut cubain du livre Edel Morales estime qu'à la fin de la décennie, 90% des jeunes cubains liront en numérique. Mais il regrette que les autorités, sous le coup du strict embargo américain depuis 55 ans, parient encore sur le livre imprimé.
Comme chaque année, la Foire du livre attire des milliers de Cubains dans la plus grande forteresse coloniale du continent, San Carlos de La Cabaña, où les éditeurs d'Etat vendent des livres à prix modique.
Cette année, ont été imprimés pour l'occasion quatre millions d'exemplaires de 700 titres, qui s'arrachent à moins d'un dollar pièce. En revanche, le catalogue numérique officiel, essentiellement composé d'oeuvres d'auteurs cubains, peine à faire recette.
Car on peut se demander qui va vouloir payer quelque chose qui peut être obtenu gratuitement. "C'est un défi que nous allons devoir relever", reconnaît Mariana Saker, employée de 57 ans qui tient le stand de Citmatel, l'entreprise d'Etat qui vend depuis 15 ans des oeuvres numériques pour ordinateur ou smartphone.
Pour satisfaire cette nouvelle génération de lecteurs, l'Etat cubain fait face à un double challenge: rendre internet plus accessible et moins coûteux, et commercialiser des liseuses numériques, pour l'instant inexistantes sur l'île.
Car pour Javier comme pour Neus, la lecture sur écran d'ordinateur ou de smartphone reste un pis-aller.
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