"Nous sommes trois fils d'immigrés", expliquent, sur une affichette collée sur une porte fermée, les fondateurs de Sweetgreen, une chaîne de bars à salade qui a décidé de clore ses 18 restaurants dans la capitale américaine.
"Nous soutenons le droit de nos employés à faire entendre leur voix en démocratie", poursuit le texte apposé sur la porte d'un établissement, à une quinzaine de minutes à pied de la Maison Blanche, que lit attentivement Edward Burger.
"C'est une bonne idée. Cette question des immigrés et de l'hospitalité des Etats-Unis est terriblement importante, pour eux comme pour nous. Il faut défendre leurs droits", confie ce médecin américain à la retraite âgé de 84 ans.
C'est dans un bastion démocrate - Washington a voté à plus de 90% pour Hillary Clinton à la présidentielle - que vient de s'installer Donald Trump.
Ses déclarations contre les immigrés et les musulmans, son décret anti-immigration très controversé et actuellement suspendu par la justice ainsi qu'une vague d'arrestations et d'expulsions la semaine dernière, ont provoqué ce mouvement spontané de grève qui a pris de l'ampleur à Washington à la faveur du bouche à oreille.
"Les immigrés nourrissent l'Amérique"
"Monsieur le président, sans nous et sans notre soutien, ce pays est paralysé": du Pentagone jusque dans les quartiers à majorité hispanique, en passant par les rues commerciales proches de la Maison Blanche et du Capitole, ce même mot d'ordre a motivé la fermeture de quelque 70 restaurants jeudi, dont certaines des plus célèbres tables de la capitale.
Des dizaines d'autres étaient également fermés ailleurs aux Etats-Unis, notamment à New York, Philadelphie ou Chicago, où environ 50 enseignes avaient baissé leurs rideaux.
Quelque 11 millions de clandestins vivent aux Etats-Unis et les sans-papiers représentaient 9% des employés du secteur de l'hôtellerie et de la restauration en 2014, selon l'institut Pew Research Center.
Arrivé d'Espagne dans les années 1990, le chef José Andrés est aujourd'hui à la tête d'un empire gastronomique aux Etats-Unis. Il a décidé de fermer cinq de ses restaurants à Washington "en soutien aux nombreux immigrants parmi nos employés". D'autres de ses enseignes restaient toutefois ouvertes, notamment pour les employés préférant travailler.
Personnalité hautement médiatique, le chef aux deux étoiles Michelin est en litige avec le président qui lui réclame plusieurs millions de dollars pour avoir renoncé à ouvrir un restaurant dans son hôtel de luxe, le Trump International Hotel, à Washington, après les propos contre les immigrés du républicain lors de la campagne électorale.
"Les immigrés nourrissent l'Amérique", pouvait-on lire sur les portes fermées de deux de ses célèbres restaurants, Jaleo et Oyamel, installés dans le quartier commercial de Chinatown.
"Peur d'être expulsés"
Annoncé mardi sur Twitter où il compte plus de 460.000 abonnés, le soutien de José Andrés a donné un grand coup de projecteur sur une initiative sans organisation centralisée jusque-là passée plutôt inaperçue. Et qui a finalement dépassé le seul secteur de la restauration.
"Nous avons tous peur d'être expulsés, nous les sans-papiers", explique Marvin Gomez, arrivé du Honduras il y a dix ans et venu participer à une petite manifestation à Mount Pleasant, quartier hispanique du nord-ouest de Washington.
A 28 ans, il travaille dans la construction, paye ses impôts aux Etats-Unis malgré son statut clandestin et aide financièrement sa mère restée au Honduras, pays rongé par la violence des gangs. "On s'est mis d'accord avec mes collègues pour ne pas aller travailler aujourd'hui. Les patrons peuvent nous licencier mais tant pis. C'est quelque chose pour lequel nous devons tous agir", confie-t-il.
Dans le cortège qui descendait vers la Maison Blanche se trouvait aussi Iris Mata, employée d'une école du quartier hispanique de Columbia Heights, qui faisait également grève.
"Nous voulons être entendus et qu'on ressente le poids d'une journée sans immigrés", témoigne cette citoyenne américaine de 38 ans, arrivée du Salvador quand elle était enfant. "Nous avons peur des conséquences des décisions du président".
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