Entre deux départs de Rafale, un drone s'élève dans les airs, son bourdonnement audible en bord de piste. Un piaillement strident se rapproche et vient couvrir ce bruit: c'est le "glatissement" de l'aigle, parti de la tour de contrôle à 200 mètres de là, qui fond sur sa proie. En une vingtaine de secondes, le drone est saisi dans les serres de l'oiseau, plaqué au sol, et le rapace couvre sa "proie" des ses ailes. Drone HS, fin de l'exercice.
"Les aigles progressent bien, les résultats sont encourageants: on a 3-4 mois d'avance sur ce qu'on espérait", analyse le "Commandant Christophe", de l'Escadron des Services de la circulation aérienne, unité chargée d'évaluer cette capacité à plumes.
Une "capacité en cours d'évaluation": c'est le statut officiel de D'Artagnan, Aramis, Athos et Porthos. Déjà majestueux -- bien qu'à 8-9 mois encore "des adolescents" -- ces quatre aigles sont entraînés depuis l'été à la chasse au drone sur la BA-118 de Mont-de-Marsan, l'une de cinq bases aériennes en France dotées d'une fauconnerie, chargée d'ordinaire de "l'effarouchement" d'oiseaux près des pistes, avec des faucons et des autours de palombes (ndlr: l'autour est une espèce de palombes).
250 kg de pression par cm2
Pourquoi l'aigle royal (Aquila chrysateos)? Car la nature fait de lui "l'arme" adaptée: "Comme tous les rapaces, il a une vue très développée", peut repérer une proie à 2 km. Grand (jusqu'à 2,20 m d'envergure), robuste (3 à 5 kg), c'est un oiseau "très courageux". Et puissant en chasse: "Un aigle royal, c'est 250 kg de pression par cm2" et ils sont lancés à 80 km/h en vol linéaire (jusqu'à 180 km/h en piqué), énumère Gérald Machoukow, fauconnier civil employé à la base.
La police néerlandaise, pionnière, dressait depuis fin 2015 des rapaces (des pygargues à tête blanche) à intercepter des drones. Gérald Machoukow, envoyé jauger l'expérience, en revint convaincu: les aigles peuvent faire le boulot.
Issus d'oeufs d'élevage, les "Mousquetaires" de la BA-118 ont été nourris dès l'âge de trois semaines sur des carcasses de drones. Très vite, ils ont assimilé le drone à la nourriture, une nourriture qui un jour s'est mise à voler. L'instinct du chasseur a fait le reste et l'automatisme drone = nourriture reste perpétué par des exercices, bientôt quotidiens, où la "prise" du drone est aussitôt récompensée par de la nourriture -- un morceau de viande -- donnée par le fauconnier, avec lequel l'aigle opère en binôme.
D'abord des interceptions en vol rectiligne, puis d'un point surélevé, des tests de vol libre, bientôt dans les Pyrénées: les recrues ont encore du travail avant d'être opérationnelles.
'Ne pas fantasmer'
Le buzz autour du projet "Rapaces/Drones" est palpable. Mais le Commandement de la défense aérienne rappelle que la capacité est "au stade d'évaluation" sur 24 mois. Un premier bilan sera fait en juin, à mi-parcours.
Mais le ressenti est clair: une possibilité "très intéressante, d'un très bon ratio coût/efficacité", pour "sécuriser des installations, comme un aéroport, ou des évènements, type match de football, un sommet, la visite d'une haute autorité, etc", résume le commandant Laurent, dont l'Escadron Expérimentation et Soutien Technique, inlassablement, répare les drones abîmés. Et conçoit des "mitaines" en kevlar et cuir, pour protéger les aigles d'éventuelles coupures par les hélices.
Car pas question de risquer la vie d'oiseaux "qu'on aime profondément" ou "d'envoyer mes aigles au carton", prévient le fauconnier. "Il ne faut pas fantasmer" et imaginer des aigles lancés sur de gros drones de 20 kg: "impossible", ajoute-t-il.
Mais des appareils de 2, 3 voire 4 kg, oui. Or ces petits engins représentent plus de 75% de la "menace drone", souligne le commandant Laurent, rappelant que les aigles ne sont pas la panacée: mais une séduisante "solution complémentaire" anti-drones, en marge d'autres options (fusils, brouillage, etc) déjà déployées, ou développées. Ainsi, la BA-118 a commandé une seconde couvée d'aigles-aviateurs, quatre aiglons attendus d'ici l'été.
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