Toujours seul dans l'arène, vêtu de bottes et d'un pantalon en cuir taille haute lui donnant une allure mi-cowboy mi-Mad Max, Johann Le Guillerm jongle avec un oiseau en papier, danse avec un tourbillon de fumée, chevauche d'impressionnantes machines en bois, assemble de colossales structures à l'équilibre fragile, puis les détruit sans ciller.
"C'est un artiste complet -plasticien, circassien- très atypique, unique dans le cirque contemporain", selon Raquel Rache de Andrade, co-directrice de la biennale internationale des arts du cirque, qui a lieu à Marseille jusqu'au 19 février.
On peut y voir son spectacle sous chapiteau, mais aussi ses installations savantes et poétiques à la Friche de la Belle de Mai et au MuCem, comme le Tractochiche, une sculpture animée imperceptiblement par la dilatation de pois chiches.
"C'est un génie. Il voit des choses que personne d'autre ne voit", affirme Mme Rache de Andrade, qui n'hésite pas à l'appeler le "Mozart" ou le "Léonard de Vinci" du cirque.
Fils de plasticiens, Johann le Guillerm est né dans la Sarthe il y a "47 ou 48 ans, je ne sais plus", dit-il à l'AFP. En 1985, à 16 ans, il intègre la première promotion du Centre national des arts du cirque (CNAC) à Châlons-en-Champagne.
"J'ai toujours voulu faire un métier itinérant et porter en moi un savoir-faire, quelque chose que je ne puisse pas perdre", raconte-t-il.
Il participe d'abord aux troupes historiques du cirque contemporain, né en France - Archaos, La volière Dromesko, Le Cirque O- puis commence à travailler seul, épurant progressivement ses spectacles des pratiques traditionnelles du cirque.
Depuis des années, il ne donne plus qu'un seul spectacle, qui mute au fil des représentations.
"Dans ma carrière j'ai créé une quarantaine de numéros. Je les mélange lors de chaque spectacle comme les couleurs d'une palette", explique-t-il.
"Poésie extrême"
"La première fois que je l'ai vu en spectacle, je ne savais pas ce que je voyais mais c'était complètement nouveau, d'une poésie extrême", raconte Martine Tridde-Mazloum, ancienne directrice de la fondation BNP Paribas qui a soutenu l'artiste de 1999 à 2010.
"Je l'ai connu à sa sortie du CNAC", se souvient Rachel Rache de Andrade. "Il faisait un stage dans la troupe Archaos, il a passé le premier jour à lancer des couteaux sur un bout de bois, pour s'entraîner, alors que les autres sociabilisaient. Il avait déjà ce côté obsessionnel".
Un trait de caractère qui ne l'a pas quitté. "Comme dans tout spectacle, parfois il y a des ratés", raconte une collaboratrice."Mais alors que l'usage veut qu'on abandonne un numéro au bout de trois essais, Johann continue jusqu'à ce qu'il y arrive. Un jour, il a recommencé une vingtaine de fois" sur scène.
"Il va toujours plus loin dans sa quête, il est d'une exigence insensée", confirme Mme Tridde-Mazloum, devenue présidente du CNAC. "Je l'ai vu développer ses recherches avec la crainte qu'il ne s'y enferme. Mais pas du tout, c'est un homme adorable, attentif, généreux, curieux des êtres, profond. Une personnalité comme il n'y en a pas tous les jours", raconte-t-elle.
Après avoir reçu en 1996 le Grand Prix national du cirque, Le Guillerm entame en 2000 un tour du monde pour rencontrer des populations tribales, traumatisées. Pour "faire le point sur mes a priori", dit-il.
Au Cameroun, il fait marcher sur un fil des personnes handicapées des membres inférieurs. "Ils avaient un équilibre instantané, ils développent une capacité d'équilibre supérieure car ils se battent en permanence", raconte l'artiste.
Depuis presque vingt ans, il travaille à un projet autour du point, intitulé "L'observatoire du pas grand-chose", qui le fait toucher aux mathématiques, à la philosophie, à la topographie.
"J'applique la science de l'idiot: celui qui ne sait pas mais qui tente le savoir", un approche qui a fasciné les chercheurs de toutes disciplines qu'il invite pour des conférences au Jardin d'agronomie tropicale où il est accueilli en résidence par la ville de Paris.
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