La jeune femme kurde d'Iran tient un salon de beauté à Erbil, la capitale du Kurdistan irakien, mais elle a décidé de consacrer deux jours par mois à "rendre belles" des femmes qui ont tout perdu, "et en premier lieu leur confiance en soi".
Elles sont quelque 3.600 dans le camp de Hasancham, arrivées il y a plusieurs semaines ou quelques jours. Elles ont quitté leur logement à Mossoul sans rien emporter ou presque, fuyant les combats qui opposent depuis octobre les forces irakiennes aux jihadistes du groupe Etat islamique (EI).
D'abord réticentes à l'idée de suivre une inconnue et de se séparer de leur mari, une petite dizaine se laisse finalement convaincre par Chnoor qui les accueille tout sourire dans son "salon de coiffure" improvisé.
"Je leur propose une coupe de cheveux, l'épilation des sourcils et du visage, mais elles ne demandent rien de précis, elles veulent juste que je m'occupe d'elles", s'étonne la coiffeuse de 31 ans.
Mervet, une mère de famille de 30 ans, fixe très attentivement les doigts de Chnoor malaxer la cire, la poser sur le visage un peu crispé d'une jeune fille puis l'arracher d'un geste sec.
"A Mossoul, avant l'EI, je travaillais dans un salon de beauté. Revoir ces gestes me remplit d'émotion", confie-t-elle.
Azhar, 34 ans, est arrivée au camp il y a tout juste deux jours, après avoir risqué sa vie en traversant le fleuve Tigre pour fuir la partie ouest de Mossoul encore tenue par l'EI.
"Cela fait des semaines que les habitants sont privés de tout: les prix se sont envolés, il n'y a plus que des pommes de terre, du blé et des lentilles", raconte-t-elle en tremblant de rage.
Mais elle retrouve rapidement son sourire en se regardant dans la glace. "Je n'avais jamais imaginé qu'une coupe de cheveux me ferait tellement plaisir!"
'Dignité'
Et elle n'est pas la seule à sourire. Le "salon de coiffure" se trouve vite assailli par des dizaines de femmes qui rient à l'idée de retirer leur voile et de se faire couper les cheveux.
"Ici au camp, il n'y a pas de place pour les femmes. Il y a des coiffeurs pour hommes, des jeux pour les enfants mais rien pour nous", murmure Ghada, 23 ans et mère de deux enfants.
"Nos visages sont brûlés par le soleil, nous avons besoin de crèmes, de produits d'hygiène. Nous n'avons même pas de soutiens-gorges!", s'insurge Safa à côté d'elle.
Chnoor la coiffeuse est convaincue: "Il n'y a aucune honte à vouloir retrouver sa féminité. Surtout dans des conditions tellement difficiles, il en va de son bien-être et de sa dignité!"
Ghada est venue "voir", mais elle n'ose pas prendre place sur le fauteuil. "Depuis qu'on est arrivé ici (il y a six semaines), je suis constamment angoissée, je fais des cauchemars, des crises d'angoisse, je soupçonne tout le monde d'être un espion de Daech", un acronyme en arabe de l'EI.
"Je crois que j'ai besoin de parler à quelqu'un... un psychologue", souffle-t-elle tout bas dans un sourire crispé.
En fin d'après-midi, après quasiment sept heures de travail à un rythme soutenu, Chnoor pose enfin ces ciseaux, épuisée mais heureuse.
"Regardez leur visage, comment il s'est métamorphosé! Elle sont arrivées méfiantes et renfermées, elle sortent d'ici détendues et fières de s'être accordées ce moment rien qu'à elles", constate-t-elle.
A ses côtés, Mervet, qui a fini par retirer son voile bleu et montrer ses longs cheveux blonds, se tient debout, radieuse. Elle ne s'est pas faite coiffer par Chnoor, mais elle a elle-même pris les ciseaux pour s'occuper des têtes des enfants des autres.
Pour Chnoor, le pari est ainsi doublement réussi et les deux semaines qui la séparent de sa prochaine venue lui semblent déjà longues.
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