Ali raconte son histoire sans émotion. "On vivait en sécurité dans la province de Hajja avec mon père qui vendait du qat (herbe euphorisante) pour vivre. Un jour, il est tombé malade et nous l'avons amené à l'hôpital de Médecins sans Frontière. L'hôpital a été touché par une frappe aérienne et mon père est mort. Nous avons déménagé à Sanaa 5 jours après l'avoir enterré".
Depuis, Ali et son petit frère, le visage sale et habillés de guenilles, errent dans les rues. Ils se faufilent entre les véhicules, dont ils proposent de nettoyer rapidement le pare-brise en échange de quelques pièces.
Ils gagnent l'équivalent de trois euros par jour, ce qui n'est pas suffisant pour nourrir leur mère et leurs huit soeurs.
Leur histoire est relativement banale à Sanaa, la capitale contrôlée par les rebelles chiites Houthis depuis septembre 2014, et dans le reste du Yémen en guerre.
"Tous les maux qui touchent les enfants progressent: le travail, la mendicité, l'enrôlement dans les forces armées, la déscolarisation...", s'alarme Nassim Al-Mouliki, la directrice d'une organisation de protection de l'enfance. De plus, "les services sociaux d'aide aux enfants se sont totalement effondrés".
'Un peu d'argent'
"Nous mendions parce que nous ne trouvions plus de quoi manger", témoigne Moustafa Ahmed Abdallah, 15 ans, dont le père a été tué en combattant. "J'ai essayé de trouver un travail, mais ça n'a pas marché, alors je suis dans la rue", ajoute-t-il, en précisant gagner ainsi cinq dollars au maximum par jour.
A quelques pas, Abir, 8 ans, passe d'une voiture à l'autre avec son jeune frère Abdelrahman. "On n'a rien à manger. On cherche un peu d'argent ou de la nourriture", raconte la fillette.
La situation s'est fortement dégradée depuis l'escalade du conflit liée à l'intervention, en mars 2015, d'une coalition arabe commandée par l'Arabie saoudite en soutien aux forces progouvernementales qui étaient acculées à Aden (sud) après avoir été chassées d'une bonne partie du territoire.
La guerre se poursuit aujourd'hui, loin des projecteurs et sans aucune perspective de règlement politique.
Environ 20% des quelque 7.400 personnes tuées depuis deux ans sont des enfants, selon l'ONU.
"Le nombre d'enfants mendiants a beaucoup augmenté, en particulier après l'arrêt du versement des salaires aux fonctionnaires dans la capitale" l'automne dernier, explique Ahmed al-Qurashi qui dirige Seyaj, une organisation pour la protection des enfants.
Risque de famine
En septembre, le président Abd Rabbo Mansour Hadi a en effet ordonné le transfert de la Banque centrale de Sanaa à Aden, déclarée "capitale provisoire" après sa reconquête avec quatre provinces du sud durant l'été 2015.
Cette décision a signifié que les rebelles, qui ont formé leur propre gouvernement à Sanaa, ne sont plus en mesure de payer les salaires des fonctionnaires dans les zones sous leur contrôle.
Parallèlement, les conditions sanitaires des 26 millions de Yéménites ne cessent de se détériorer. Les deux tiers d'entre eux sont privés de soins médicaux décents et des cas de famine et de choléra ont été signalés.
L'Unicef estime à 2,2 millions le nombre d'enfants souffrant de malnutrition aiguë.
"La malnutrition nous a touchés de plein fouet et augmente chaque jour", s'alarme le pédiatre Ahmed Youssouf. Mais "ni le gouvernement ni les ONG ne sont capables de trouver une solution pour faire face à cette catastrophe".
Fayza Ahmad, responsable à l'hôpital al-Sabine de Sanaa, constate aussi cette aggravation: "les cas que nous recevons sont très sérieux, les enfants souffrent de diarrhées sévères".
Parfois, témoigne le docteur Youssouf, "un enfant meurt et le père tient encore dans sa main l'ordonnance" pour un traitement médical qu'il ne peut pas payer.
L'ONU a réclamé mercredi 2,1 milliards de dollars (2 milliards d'euros) pour venir en aide cette année aux Yéménites. "Sans soutien international, ils risquent d'être menacés par la famine en 2017", a prévenu le patron des opérations humanitaires de l'ONU Stephen O'Brien.
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