Avant de l'apporter à ce musée qui a ouvert en janvier, Aida a gardé une lettre durant 20 ans: douze lignes rédigées au stylo bleu le 24 mars 1993, laissées en suspens. Sa mère y raconte à une amie sa vie de réfugiée à Sarajevo avec sa fille alors âgée de 14 ans et son petit frère, et annonce la mort de son mari au front.
"Comment va la petite Elma, est-ce qu'elle a beaucoup grandi, est-ce qu'elle nous a oubliés? Nous parlons souvent de vous, surtout d'elle, et nous attendons le jour…" La suite, c'est l'obus dans l'appartement et sa mère tuée sans finir sa phrase.
Il a fallu "gagner la confiance des gens qui se séparent parfois d'objets très importants pour eux", raconte Jasenko Halilovic, 28 ans, fondateur du musée et auteur d'un livre de témoignages d'enfants du siège de Sarajevo, le plus long du XXe siècle. Entre 1992 et 1995, près de 3.400 enfants ont été tués lors du conflit intercommunautaire en Bosnie (100.000 morts), dont environ 1.500 à Sarajevo, assiégée plus de trois ans.
La ville en garde les cicatrices. Chaque jour, près d'immeubles encore marqués des impacts de balles, des proches font tourner un des rouleaux installés sur une place du centre puis arrêtent leur doigt sur l'un des noms qui y sont gravés par centaines: ceux des enfants tombés sous les balles et les bombes.
Une autre enfant prénommée Aida fut l'un d'eux, fauchée à 17 ans par un obus à l'entrée de son appartement. Elle aimait dessiner des personnages de Disney, notamment une Minnie avec une larme qui glisse sur la joue. Sa soeur Selma Mehmedagic, les a donnés au musée.
"La résistance des enfants"
La collection compte quelque 4.000 objets, accompagnés de courts textes. Ils se succèderont dans les vitrines, pour que l'exposition se renouvelle, explique Selma Tanovic, anthropologue de 36 ans chargée des recherches. Un vélo, un téléviseur, un bonnet percé d'un éclat d'obus, des peluches, un poêle de fortune, des photos, des journaux intimes, disent des drames. Mais aussi des résiliences.
"La danse classique était mon monde à part. Elle me permettait de me déconnecter de la réalité", raconte Mela Softic, qui avait huit ans quand la guerre est arrivée. En dansant, "je n'étais plus dans la guerre, à Sarajevo, mais dans un conte de fées", se souvient-elle. Elle a confié ses pointes au musée, "le meilleur endroit possible". Pour elle, le siège, c'était aussi des entrechats et des arabesques.
"Nous voulons souligner la résistance des enfants, leur manière de surmonter des circonstances cruelles de leur enfance", dit Selma Tanovic. Toutes les histoires ont pour ambition de porter un "message fort contre la guerre".
Les camps d'en face
Filip Andronik, qui avait 11 ans au début du conflit, a transformé ses mois passés dans le sous-sol de son immeuble en art de la survie. Lorsque sa famille a reçu sa première boîte de conserve avec de la viande, il a décidé de la garder, vide. "Je me suis dit: +C'est pour en rire, demain, quand ça sera fini+. Mais la guerre a continué et l'aide humanitaire aussi", se souvient ce comédien et auteur de BD. Il a mis de côté l'emballage de chaque produit alimentaire et hygiénique reçu, soit plus de 2.000 pièces.
"Les expériences des enfants sont similaires quel que soit le côté où ils se trouvaient pendant la guerre", dit Jasenko Halilovic, qui veut faire de son musée une "plateforme du dialogue et de la réconciliation" dans un pays toujours divisé.
Il cherche désormais des objets dans d'autres villes pour raconter des camps d'en face. Notamment à Banja Luka (nord), capitale des Serbes de Bosnie, ou à Mostar (sud), divisée entre Croates et Bosniaques.
"C'est une expérience que nous partageons tous, nous les enfants qui avons grandi dans la guerre. J'espère que ça nous aidera à comprendre qu'il faudrait laisser un monde plus beau à ceux qui viennent après nous", dit Emina Omanovic, 31 ans. Elle a offert son vélo rouge, le moyen de transport de sa famille pendant le conflit.
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