Les manifestants étaient 10.000 à Bucarest, selon plusieurs médias roumains, rassemblés spontanément depuis le milieu de soirée devant le siège du gouvernement, aux cris de "Démission" et "Voleurs", ont constaté des journalistes de l'AFP.
Des protestations ont également eu lieu dans plusieurs autres villes, dont Cluj (nord-ouest), Sibiu (centre), Timisoara (ouest) et Iasi (nord-est), selon les médias.
La mobilisation a été immédiate après l'annonce de l'adoption d'un décret d'urgence qui pourrait permettre à de nombreux hommes politiques d'échapper à des poursuites pénales, considéré par ses détracteurs comme une volonté de reprise en main de la justice par l'exécutif social-démocrate au pouvoir depuis moins d'un mois.
Le ministre de la Justice Florin Iordache a justifié ce texte, qui ne passera pas par le parlement et entre quasi-automatiquement en vigueur, par la volonté "de mettre la législation en accord avec des décisions de la Cour constitutionnelle"
L'exécutif du Premier ministre Sorin Grindeanu en avait fait la proposition il y a dix jours, entraînant depuis plusieurs manifestations dans le pays et un bras de fer avec le président de la République de centre droit Klaus Iohannis.
"C'est un jour de deuil pour l'État de droit, qui a reçu un coup dur de la part des adversaires de la justice et de la lutte contre la corruption", a réagi le chef de l'État dans un communiqué mardi. Lors des premières manifestations, il s'était même mêlé à la foule des protestataires.
"Ce gouvernement a choisi de faire passer ses ordonnances en cachette car il a peur", déplorait dans la manifestation de Bucarest Martina, une étudiante en relations internationales, qui craignait un "retour en arrière" pour la lutte contre la corruption dans le pays.
Opération mains propres
"Rien ne leur donne la légitimité de faire ça (...) C'est un retour à la période d'il y a 15 ans", faisait écho Cristian Clot, employé dans le secteur informatique. Les rassemblements se sont dispersés sans incident.
Le décret dépénalise plusieurs infractions et rend l'abus de pouvoir, un chef d'inculpation fréquent, passible de peines de prison uniquement s'il provoque un préjudice supérieur à 44.000 euros.
Il devrait notamment permettre au chef du Parti social-démocrate (PSD) Liviu Dragnea d'échapper au principal chef d'accusation le visant dans un procès d'emplois fictifs qui s'est ouvert mardi. Le préjudice dans ce dossier est estimé à 24.000 euros par les procureurs.
Le gouvernement a en revanche envoyé au Parlement un projet de grâce visant environ 2.500 détenus qui purgent des peines de jusqu'à cinq ans de prison, renonçant à l'adopter par décret d'urgence comme prévu initialement.
Après la large victoire aux élections législatives de décembre de son parti, qui avait été chassé du pouvoir par la rue fin 2015, M. Dragnea convoitait le poste de Premier ministre mais a dû céder sa place en raison d'une condamnation à deux ans de prison avec sursis pour fraude électorale.
Les associations de magistrats, le Parquet général et le Conseil supérieur de la magistrature ont dénoncé à l'unisson ces deux textes et la procédure de décret.
Le Département de lutte antifraude (DLAF), un organisme gouvernemental qui assure la liaison avec l'Office de lutte antifraude (OLAF) de l'Union européenne, s'est joint à ces critiques, soulignant que cet allègement du code pénal "restreint sa capacité (...) de protéger de manière efficace les intérêts de l'UE en Roumanie".
L'opposition de centre droit a annoncé son intention de déposer une motion de censure contre le gouvernement.
Bruxelles, qui surveille de près la réforme de la justice en Roumanie, avait mis en garde dans son dernier rapport, la semaine dernière, contre toute démarche visant à affaiblir la lutte contre la corruption.
Au cours des dix dernières années, le parquet roumain anticorruption a mené une vaste opération mains propres qui a touché des dizaines de membres de la classe politique, et l'institution, très populaire auprès des Roumains, s'est aussi attiré des critiques sur son pouvoir supposé excessif.
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