Dans ce rapport publié mercredi après une enquête, l'ONG accuse les policiers philippins de perpétrer d'autres actes criminels à grande échelle parallèlement à ces meurtres extrajudiciaires qui visent surtout les pauvres.
"Sur ordre venant du sommet, des policiers et des tueurs inconnus ciblent toute personne soupçonnée de loin ou de près de vendre ou de consommer de la drogue", a déclaré à l'AFP Rawya Rageh, conseillère pour l'organisation de défense des droits de l'Homme.
"Notre enquête montre que cette vague de meurtres extrajudiciaires a été généralisée, délibérée et systématique, ce qui correspond peut-être à des crimes contre l'humanité".
Amnesty égrène une litanie de crimes qu'auraient commis des policiers, comme le fait d'abattre des personnes sans défense, de monter des preuves de toutes pièces, de payer des tueurs pour abattre des toxicomanes ou de voler les victimes.
L'ONG ajoute que les policiers sont payés pour tuer par leur hiérarchie et a retrouvé des victimes très jeunes, certaines âgées de huit ans.
"Les policiers se comportent comme les criminels des bas-fonds auxquels ils sont censés faire respecter la loi".
"Économie de la mort"
Rodrigo Duterte a remporté la présidentielle de 2016 sur la promesse d'éradiquer le trafic de drogue dans l'archipel en faisant abattre des dizaines de milliers de personnes.
Il avait parlé de 100.000 victimes et dit que les poissons de la baie de Manille s'engraisseraient sur leurs cadavres.
Depuis sa prise de fonction fin juin, la police a annoncé avoir abattu 2.551 personnes tandis que près de 4.000 autres sont mortes dans des circonstances inexpliquées, selon les chiffres officiels.
Le président n'a eu de cesse d'appeler les policiers à tuer les trafiquants comme les toxicomanes. En décembre, il avait reconnu avoir personnellement tué lorsqu'il était maire de Davao (sud), pour donner l'exemple à la police. Il a aussi déclaré qu'il serait "heureux de massacrer" trois millions de toxicomanes.
Amnesty accuse M. Duterte d'encourager les policiers à mener une guerre meurtrière contre les plus pauvres et estime que la Cour pénale internationale doit ouvrir une enquête.
"Les meurtres commis par des policiers sont le fruit de pressions venues d'en haut, y compris l'ordre de +neutraliser+ les délinquants présumés, et d'incitations financières. Ils ont créé une économie informelle de la mort", dit le rapport.
AI explique avoir enquêté sur la mort de 59 personnes, en majorité de meurtres extrajudiciaires, dit l'ONG.
"Je vais me rendre"
Dans certains cas, des témoins ou les proches des victimes ont raconté qu'elles avaient été abattues alors qu'elles n'avaient pas d'armes et n'avaient pas résisté à leur arrestation. Les policiers ont également dissimulé de la drogue ou des armes sur les victimes pour ensuite les "saisir" comme preuves, poursuit AI.
"Je vais me rendre, je vais me rendre", a déclaré Gener Rondina, 38 ans, aux policiers qui venaient de faire irruption chez lui à Cebu, dans le centre de l'archipel, a raconté un témoin à Amnesty. Rondina s'est ensuite agenouillé et a mis les mains derrière la tête mais les policiers l'ont abattu, a poursuivi ce témoin.
La police a assuré avoir agi en légitime défense.
La manière dont les gens se retrouvent sur la liste des suspects de la police est biaisée, poursuit l'ONG. Souvent, les gens sont dénoncés par des tiers sans que ces accusations ne débouchent sur une enquête.
Jusqu'à très récemment, Rodrigo Duterte ne s'est pas démonté face aux critiques, déclarant que des mesures extrêmes étaient nécessaires pour empêcher les Philippines de devenir un narco-État.
Toutefois, après une série de scandales, en particulier l'implication de policiers des "stups" dans des crimes comme l'enlèvement, le meurtre, l'extorsion et le vol, il a ordonné à la police de cesser toute activité relative à la lutte antidrogue. Il a promis de nettoyer une institution "corrompue jusqu'à la moelle".
Mais il a également annoncé qu'il poursuivrait sa guerre antidrogue jusqu'à la fin de son mandat, en 2022.
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