"Une étude a montré que seulement 3% des personnes corrompues au Brésil sont condamnées. L'enquête Petrobras, c'est un "îlot de justice et d'espoir dans un océan d'impunité", déclare dans son bureau de Curitiba le magistrat dirigeant la plus vaste enquête anticorruption de l'histoire du Brésil.
Au total, 259 personnes ont été inculpées dans cette affaire, dont l'ancien président de gauche Luiz Inacio Lula da Silva, et souvent incarcérées, comme les plus grands patrons du BTP brésilien. Des dizaines ont déjà été condamnées en première instance à de lourdes peines de prison.
Elle a provoqué la chute de l'ancien président du Congrès des députés, Eduardo Cunha, puissant artisan de la destitution de l'ex-présidente de gauche Dilma Rousseff en août, actuellement sous les verrous.
Mais Deltan Dallagnol ne croit pas que celle-ci suffira à moraliser la vie publique et des affaires dans la première puissance économique d'Amérique latine.
"Les enquêtes criminelles ne changent pas un pays. Elles peuvent condamner certaines personnes, récupérer de l'argent détourné, mais sans un changement en profondeur des structures qui génèrent la corruption, il n'y a pas de raison que ça s'arrête", ajoute-t-il.
Deltan Dallagnol, 37 ans, se présente sur sa page Twitter comme "Suiveur de Jésus, mari et père amoureux, procureur de la République par vocation".
Critiqué pour ses prises de positions à l'emporte-pièce et les nombreuses détentions préventives décrétées à sa demande par le médiatique juge fédéral Sergio Moro, il se défend toutefois de "mener une croisade morale".
Il y a trois ans, il avait failli refuser de prendre en charge un petit dossier de corruption "potentiellement intéressant", parce qu'il ne voulait pas renoncer à un voyage en Indonésie. À 33 ans, il venait de terminer ses études à Havard. Il ignorait que, de fil en aiguille, cette enquête deviendrait une affaire d'Etat explosive.
'Le monstre de la corruption'
L'enquête a révélé un vaste système de corruption autour du géant étatique pétrolier Petrobras, dont les dirigeants nommés par le pouvoir politique accordaient de juteux marchés de sous-traitance surfacturés aux plus grands groupes de BTP du pays constitués en cartel illicite. En retour, étaient versées commissions et pots-de-vin alimentant les caisses noires de partis politiques et d'élus influents.
Des parlementaires de tous bords protégés par l'immunité parlementaires sont dans la ligne de mire du Tribunal suprême fédéral (STF), chargé du volet politique du dossier. Parmi eux, le président du Sénat, Renan Calheiros, également inculpé.
Le nom du président Michel Temer, qui a succédé dans des conditions controversées à Dilma Rousseff est également cité.
Petrobras a évalué en 2014 ses pertes liées à la corruption à plus de deux milliards de dollars. Les enquêteurs de Curitiba estiment aujourd'hui le préjudice total à plus de 13 milliards de dollars.
"Nous avons été surpris" par l'ampleur et la sophistication des malversations, commente M. Dallagnol. "Que les études internationales montrent que la corruption au Brésil est enracinée et systématique est une chose, voir le monstre devant ses yeux en est une autre".
Accident d'avion
Et l'affaire Petrobras promet de prendre bientôt une dimension encore beaucoup plus explosive: le premier groupe de BTP du Brésil, Odebrecht a noué des accords de collaboration avec la justice pour obtenir des remises de peine pour 77 de ses dirigeants et cadres supérieurs. Parmi eux, l'ex-PDG, Marcelo Odebrecht, qui purge une condamnation de 19 ans de prison en première instance.
Selon la presse brésilienne, ces confessions négociées dans le plus grand secret viseraient plus d'une centaine de personnalités politiques de tous bords.
"Nous nous attendons à ce que l'opération double de volume. La collaboration d'Odebrecht et de nombre de ses cadres apportera des preuves qui donneront lieu à de nouvelles enquêtes dans tout le Brésil", prévoit Deltan Dallagnol.
L'homologation des accords de collaboration avec Odebrecht a été freinée par la mort du juge de la Cour Suprême Teori Zavascki, chargé du volet politique du scandale, décédé dans un accident d'avion le 19 janvier.
Le juge Moro s'était dit "perplexe" devant la coïncidence de ce drame avec l'imminence de l'explosion de la bombe Odebrecht. Une enquête est en cours sur les causes de l'accident.
Les magistrats de Curitiba attendent avec impatience de connaître l'identité du juge du STF désigné pour reprendre le flambeau: "Sa mentalité, sa façon de penser, sa vision du monde et du droit peuvent déterminer le succès ou l'échec de toute l'opération", met en garde Deltan Dallagnol.
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