Les rangs étaient clairsemés dans la vaste salle du Palais des congrès de Toulouse: 400 sièges environ avaient trouvé preneur, sur les 700 installés.
Sur l'immense écran dressé au fond de l'espace, des images floues et sautillantes montraient dans une fixité soporifique la présidente de la Cour d'appel de Paris égrener dans un fastidieux appel les centaines de noms d'avocats, de parties civiles et de témoins.
Dans l'assistance, les têtes souvent grises piquaient parfois du nez, à cette heure de l'après-midi plus favorable à la sieste toulousaine, que seuls pouvaient interrompre des "On n'entend pas", quand un intervenant à Paris ne parlait pas dans le micro, ou des "Aaah" de déception quand l'image devenait soudainement noire.
"C'est consternant", lâchait Sophie Vittecoq, porte-parole de l'association de victimes "Plus jamais ça, ni ici, ni ailleurs".
"Rien! Je n'ai rien entendu", enrageait José Guijarro, 82 ans. De nombreuses victimes présentes dans la salle toulousaine ont perdu une partie de leur ouïe dans l'explosion et doivent porter des appareils.
La seule caméra filmant les débats ne se tournaient que très rarement vers les autres intervenants: à Toulouse, on n'entendait alors qu'une voix anonyme, laissant le public dans l'interrogation.
"J'ai trouvé cela extrêmement regrettable que le niveau technique soit en dessous de ce qu'on peut espérer au XXIe siècle", raillait une enseignante retraitée souhaitant conserver l'anonymat.
"Nous allons améliorer le dispositif", a-t-on promis au parquet général de Paris, interrogé par l'AFP.
'TOTALement bâillonnés'
Les moyens rudimentaires de la Justice ajoutaient encore à la frustration des victimes d'AZF, qui ont le sentiment qu'on leur a volé "leur" procès en le déplaçant de Toulouse, lieu de la catastrophe, à Paris.
"On nous met à l'écart", accuse ainsi Rose Frayssinet, 74 ans. Cette retraitée a perdu l'usage total d'une oreille et l'autre n'entend plus qu'à 30%. Mais elle ne s'est jamais portée partie civile et ne peut donc bénéficier du programme de remboursement des frais de déplacement et de séjour à Paris, mis en place par la Justice.
"Aller à Paris, c'est très contraignant", souligne-t-elle, tenant une banderole face à l'entrée du Palais des congrès, qui avertit: "AZF: pas d'impunité pour les crimes industriels".
Les victimes se sentent d'autant plus flouées que la salle de la Cour d'appel de Paris ne peut contenir que 300 places, tandis que le nombre des parties civiles atteint déjà à lui seul 2.700.
"Alors vous pensez bien que les victimes qui ne sont pas parties civiles ne pourront vraisemblablement pas rentrer!" tempête Sophie Vittecoq. "Le rapport de forces entre les victimes et Total ne va pas être le même", en conclut-elle.
Nombre des blessés d'AZF sont vieillissants et malades. Pour eux, "monter" à Paris est une véritable expédition, surtout pour un procès-fleuve de quatre mois (du 24 janvier au 24 mai). De ce fait, quelques dizaines seulement d'entre elles pourront faire le déplacement.
Un procès privé de victimes est un procès d'experts, sans âme, redoutent les associations.
"Ils ont peur de nous", croit Christiane Pégourié, 73 ans. "Si ça s'était passé à Toulouse, c'est sûr qu'on aurait fait du bruit", ajoute-t-elle, tenant une poussette de marché bourrée d'affiches anti-Total lors d'un rassemblement de victimes devant le palais toulousain.
Pour ce troisième procès, les associations de victimes ont ressorti leur traditionnelle banderole, dont le message n'a jamais été plus d'actualité, selon elles: "Nouveau procès AZF à Paris: les victimes TOTALement bâillonnées".
"C'est très important d'être ici", estime José Guijarro. "Car je veux qu'ils soient condamnés."
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