"Bienvenue chez les clochards", a lancé le procureur de Charleville-Mézières, Laurent de Caigny, lors de son discours de voeux, rappelant que la paternité de la formule, provocatrice, revenait au garde des Sceaux.
Arrivé à la chancellerie fin janvier, Jean-Jacques Urvoas avait décrit une justice "en voie de clochardisation" et promis d'importants moyens pour des juridictions se sentant "abandonnées".
"Ce mot je ne l'accepte pas car il n'a débouché sur aucun plan à la hauteur de sa violence symbolique", a tonné Laurent de Caigny. Son parquet a perdu la moitié de ses effectifs depuis janvier, avec trois magistrats pour six postes.
A Toulouse, sept sièges sont restés vides lors de l'audience solennelle de rentrée au tribunal de grande instance (TGI) pour dénoncer les sept postes vacants depuis plusieurs années. A Nantes, une majorité de magistrats a boycotté l'audience pour protester contre une vacance de postes de 14%.
"Il est humiliant pour l'institution judiciaire de quémander, de tendre la main, pour ne pas obtenir les moyens décents de rendre dignement la justice au nom du peuple français", a dit le procureur de Montpellier Christophe Barret.
"Déjà qualifiés de lâches et de planqués, il ne sera pas dit que nous sommes des mendiants", s'est-il insurgé, faisant notamment référence aux propos controversés du président François Hollande sur la "lâcheté" de l'institution judiciaire.
'Irréversible'
Ces carences chroniques ont désormais des conséquences durables: "trop de charges mal évaluées, dessinant un périmètre de plus en plus incertain (des) missions", résume le procureur de Charleville. "A un moment ça devient irréversible", prévient le président du TGI de Lyon, Thierry Polle.
Avec 29 magistrats sur 37 postes à pourvoir, le parquet de Lyon n'est plus en mesure de "garantir une justice simplement correcte dans des délais raisonnables". Son procureur Marc Cimamonti a annoncé que les parquetiers ne participeraient plus à des audiences et réunions jugées d'intérêt secondaire, et qu'ils ne répondraient plus à plusieurs obligations.
A Quimper vendredi, le garde des Sceaux a estimé qu'il manquait encore 450 magistrats et greffiers sur l'ensemble du territoire, en dépit d'efforts importants, avec un budget de la justice de sept milliards en 2017. Selon la Chancellerie, depuis 2012, 2.282 nouveaux magistrats ont été formés, soit "1.354 de plus que durant la législature précédente".
Certaines juridictions parmi les plus sinistrées ont été renforcées: en Seine-Saint-Denis, où magistrats et avocats avaient lancé en janvier dernier "l'appel de Bobigny", 62 nouveaux magistrats sont arrivés il y a quelques semaines au tribunal.
A Reims, où "quelques moyens" sont arrivés, le procureur Matthieu Bourrette se demande "que dire du grand escalier supérieur qui s'affaisse régulièrement avec de vrais risques de chute, des locaux plus que défraîchis, des geôles loin d'être aux normes"...
"La France compte deux fois moins de juges, quatre fois moins de procureurs et deux fois moins de greffiers pour 100.000 habitants que la moyenne européenne", a rappelé la procureur de Nanterre Catherine Denis.
Les efforts réels consentis cette année ont été vite engloutis, avec un contentieux lié au terrorisme toujours plus considérable, qui absorbe les moyens et le temps des magistrats.
Certains, comme la première présidente de la cour d'appel de Paris, Chantal Arens, s'interrogent sur "l'avenir de l'acte de juger" entre "l'impératif de traiter des contentieux de masse, en tenant compte des situations individuelles, et l'injonction qui lui est faite de s'adapter aux évolutions de la société".
"Les magistrats ne cessent de demander des pauses législatives. A peine une réforme est-elle assimilée qu'une nouvelle intervient", a déploré Hélène Judes, présidente du TGI de Reims, qui ne parvient plus "à compter les réformes intervenues en 2016", du divorce au droit des contrats, sans parler du pénal.
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