"Une erreur de casting": l'avocate d'Anthony Panisse, 26 ans, résume ainsi les six années que son client a passées sous les drapeaux. Engagé en 2009, il a servi comme quartier maître chez les fusiliers marins. Et a déserté, fin 2015.
Un an plus tard, il comparaît, aux côtés d'une dizaine de jeunes déserteurs, devant la chambre militaire du tribunal correctionnel de Marseille.
Dans cette juridiction, qui couvre dix départements et où sont basés 75.000 militaires, la désertion représente 40% des affaires. L'an dernier, 153 condamnations ont été prononcées pour ce motif.
Un casier judiciaire vierge étant en principe demandé lors de l'engagement, pour Anthony, trois juges et un greffier en uniforme militaire, c'est une première.
"Qualité professionnelles moyennes, peu intégré", plusieurs rapports de la hiérarchie accablent le jeune homme, parti à trois reprises en opérations extérieures.
Chemise blanche, pull noir, le déserteur livre sa version à la barre. Celle d'un soldat qui a jeté l'éponge après des mois de "brimades" répétées: empêché de prendre sa douche, soumis au rituel "du juke-box" ("Enfermé dans un caisson, on vous jette des pièces de monnaie et vous devez chanter")...
Récit peu convaincant pour le tribunal, qui condamne le jeune homme, devenu postier, à deux mois de prison avec sursis.
"Infraction obsolète"
L'armée, qui enchaîne les campagnes de recrutements, n'est pas un employeur comme les autres. Les jeunes soldats qui s'engagent peuvent la quitter pendant les six premiers mois. Passé ce délai, sauf réforme médicale ou accord de l'institution, toute démission est impossible.
Et un siècle après la Première Guerre mondiale, la désertion tombe toujours sous le coup de la loi. En temps de paix, le code de justice militaire la punit de trois ans de prison.
Depuis les attentats de novembre 2015, la France est en état d'urgence, assimilé au "temps de guerre": les peines sont alourdies, jusqu'à un maximum de 10 ans. Devant le tribunal, cela se traduit par plusieurs mois supplémentaires, en général avec sursis.
"Vous savez qu'on ne peut pas quitter l'armée sous n'importe quel prétexte", tance la présidente, Lucie Chapus-Berard. Face à elle, Michèle Bréard, 25 ans, a enchaîné les arrêts maladie avant de claquer la porte. La désertrice peine à expliquer pourquoi elle n'est pas allée au bout de son contrat sur la frégate de lutte anti-sous-marine Jean Devienne.
Elle finit par raconter avoir développé un syndrôme du canal carpien après être passée sur un parcours du combattant. Comme d'autres prévenus, elle en veut aux médecins militaires, chargés de vérifier s'il y a une véritable maladie qui permet de se faire réformer, ou si c'est "un moyen de contourner la loi", comme le suspecte régulièrement le parquet.
"Déserter, ça désorganise le navire. L'armée a besoin de pouvoir compter sur des troupes constituées", gronde Mme Chapus-Bernard, qui prononcera une peine de 3 mois de prison avec sursis.
"Notre pays a besoin d'eux, et ils se mettent à déserter", déplore le procureur de la République adjoint de Marseille, André Ribes. "Ils n'ont pas la maturité de comprendre que la signature, c'est un engagement", ajoute-il.
"L'infraction représentait quelque chose il y a 100 ans, mais aujourd'hui elle est obsolète!", déplore au contraire l'avocat David Caviglioli, qui défend un jeune déserteur de 27 ans.
"L'armée, je n'imaginais pas ça comme ça", relate son client, séduit par l'uniforme lors d'ateliers au lycée. Quatre ans plus tard, il s'engage, puis déserte du 1er régiment de Montferrat en 2015.
"Mes deux premières années se sont passées particulièrement bien", relate le jeune homme, descendu de la Rochelle, où il s'est reconverti comme mareyeur. Dans la salle, sa petite amie le soutient dans le récit de la "spirale infernale" qui l'a conduit à déserter. "Parti en dépression", le soldat a été incapable de s'intégrer dans son unité. Il écope de deux mois ferme.
"A la Légion, il n'y a pas de psy"
En 2011, 1.990 désertions avaient été enregistrées, et la tendance serait stable, selon l'armée. Une goutte d'eau par rapport aux 200.000 soldats français, mais que l'on peut aussi comparer aux quelques 25.000 recrutements annuels.
"Le plus souvent, ce sont des petits jeunes, engagés volontaires et petits gradés, qui veulent rejoindre leur copine ou à qui le boulot ne plaît plus", analyse-t-on à l'armée. Les contrats d'engagement sont assortis d'une période de six premiers mois, pendant lesquels le soldat peut librement changer d'avis.
Rémy Dubois qui a quitté l'uniforme de la Légion mais porte toujours le cheveu ras, s'est engagé à 17 ans et demi, on lui avait alors donné "un an de plus et une nationalité belge".
"Déserter, c'est plein de difficultés administratives", témoigne celui dont les soucis au deuxième régiment étranger d'infanterie ont commencé au bout d'un an. Sans statut légal, il faut par exemple retrouver une sécurité sociale et une mutuelle civile, relate-t-il.
Après s'être informé sur des forums où les candidats à la désertion s'échangent des tuyaux, Rémy Dubois saute le pas, au retour d'un stage commando à Abou Dhabi. "J'ai récupéré mon paquetage au régiment. J'ai pris mes affaires civiles, j'ai distribué mes affaires militaires aux compagnons de chambrée et je suis parti", raconte-t-il.
Ce qui l'a convaincu de partir, c'est le "racisme antifrançais", selon ses mots, de la part d'un supérieur d'origine russe. "On me frappait, des coups vicieux qui ne laissent pas de traces. On me faisait mettre sur la tête une demi-heure, une heure, fessier en l'air. On m'empêchait de dormir", raconte-t-il.
"A la Légion, il n'y a pas de psy. Tu fermes ta bouche ou tu ramasses. Moi, j'ai dit +Je m'en vais+. Je regrette pas", témoigne l'ancien militaire, bien noté avant sa désertion.
Le récit de son expérience malheureuse à la légion, qui en recoupe d'autres, "ne manque pas d'alerter", souligne la représentante du parquet. Le jeune homme, reconverti dans la sécurité, un métier pour lequel un casier judiciaire vierge est requis, sera ce jour-là l'un des seuls déserteurs dispensé de peine.
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