Cette exposition choc dans l'église de Baclaran faisait partie de la croisade menée par l'une des institutions les plus anciennes et puissantes de l'archipel contre la guerre antidrogue meurtrière du président Rodrigo Duterte, qui a coûté la vie à 6.000 personnes.
"L'Eglise fait valoir son influence, c'est pourquoi elle sera en première ligne au cours des prochains mois, de la lutte contre les meurtres extrajudiciaires", dit à l'AFP Jerome Secillano, directeur des relations publiques de la Conférence des évêques catholiques des Philippines.
Dans un pays qui compte 80% de catholiques, l'Eglise souhaite la réussite de la présidence Duterte mais manquerait à son obligation morale de protéger la vie si elle se taisait, ajoute M. Secillano.
La guerre contre la drogue "n'est plus conforme au processus judiciaire et les normes morales sont violées. Il est temps que l'Eglise dise ce qu'elle pense".
M. Duterte avait été largement élu l'année dernière après avoir promis de faire tuer des dizaines de milliers de personnes pour éradiquer le trafic de drogue.
Depuis sa prise de fonction fin juin, la police a annoncé avoir tué 2.250 suspects, et 3.710 personnes ont été abattues par des inconnus qui ont parfois laissé sur place des pancartes les accusant d'être des trafiquants de drogue ou des usagers.
Popularité présidentielle
Et le président philippin a affirmé qu'il serait heureux "d'abattre" trois millions de toxicomanes pour empêcher que les Philippines ne deviennent un narco-Etat.
Cette campagne s'est attirée les foudres des défenseurs des droits et de certains gouvernements occidentaux. Mais M. Duterte est toujours immensément populaire parmi ses compatriotes, qui espèrent qu'il parviendra à venir à bout du crime, de la corruption et des autres problèmes endémiques.
Avec un tel soutien, mais aussi à cause de diverses tactiques d'intimidation, les dénonciations publiques de la politique présidentielle sont rares.
Pendant des mois, l'Eglise, qui joua un rôle primordial dans la chute du dictateur Ferdinand Marcos et du président corrompu Joseph Estrada, s'est tue.
Les autorités ecclésiastiques ont dit qu'elles voulaient donner à M. Duterte l'occasion de mettre en oeuvre ses programmes. Elles espéraient aussi pouvoir influencer discrètement le chef de l'Etat, par une série d'entretiens, explique Atilano Fajardo, prêtre de Manille.
Comme l'homme de la rue, certains religieux hésitent à élever la voix, d'après M. Secillano. "Il n'y a pas beaucoup d'églises et de gens qui veulent s'exprimer contre ces meurtres à cause de la peur".
L'archevêque Socrates Villegas, président de la conférence des évêques, avait écrit une lettre à ses ouailles en octobre pour lancer la campagne anti-meurtres.
Règne de la "peur"
"J'ai honte des choses que je lis sur les Philippines dans les médias internationaux et encore plus honte de ce que j'entends dans la bouche de nos dirigeants", écrivait-il.
"Je ne peux plus présenter mes condoléances aux familles endeuillées car j'ai aussi besoin d'être rassuré que les choses vont s'améliorer et non empirer".
Dans un message de Noël, le cardinal de Manille Luis Tagle, numéro un de la hiérarchie catholique, s'est lamenté sur le fait que les Philippins perdaient leur sens de "l'hospitalité", ce qui a été perçu comme une critique contre les meurtres. "Pourquoi y a-t-il de la place pour détruire la vie mais un espace minuscule pour la sauver?", a-t-il dit.
Depuis, des églises à travers l'archipel ont installé des banderoles de dénonciation des meurtres extrajudiciaires. Des prêtres ont aidé les familles de victimes à s'organiser en réseau. L'Eglise veut aussi former les veuves à amasser des éléments pour pouvoir porter plainte contre la police.
L'institution prend soin de souligner qu'elle n'en a pas après M. Duterte, mais seulement après les meurtres.
"Les prières peuvent déplacer des montagnes. Nous pensons que M. Duterte peut encore changer d'avis, alors nous devons prier", déclare M. Fajardo.
L'impact de cette campagne reste incertain. Mais l'Eglise fonde ses espoirs sur un sondage qui montre que 80% des Philippins ont peur qu'ils ne soient, eux ou leurs amis, les prochains sur la liste.
"Quand on parle aux gens, la peur est très répandue. Nombreux sont ceux, surtout dans les quartiers urbains pauvres, qui pensent que n'importe qui peut devenir une cible", raconte à l'AFP l'évêque de Manille Broderick Pabillo.
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