"Pourquoi est-on encore ici à Kaboul?" s'interroge Khodadad Adib, 28 ans, le représentant des traducteurs dans la capitale afghane.
"Pour quelles raisons nos demandes ont-elles été rejetées par le gouvernement français?", ajoute-t-il. "On était avec les soldats dans des endroits parfois dangereux, aujourd'hui on se retrouve dans une situation fragile, et l'armée n'est plus là à nos côtés."
La manifestation fut brève à Kaboul : quelques banderoles blanches réclamant "la protection" et la "solidarité de la France pour les interprètes en danger" ont été rapidement déployées à proximité de l'ambassade de France. Puis la police a dispersé les protestataires.
A Paris, une cinquantaine d'ex-interprètes, "relocalisés" pour la plupart depuis le printemps dernier en France, ont manifesté quelques heures plus tard près de l'Assemblée nationale, par "solidarité" avec leurs compères "en danger".
"Par humanité, même si je suis maintenant en sécurité, je ne peux pas oublier mes frères", justifie Ali Mohammadi, qui vit à Laon (Aisne) avec femme et enfant. "Pourquoi y a-t-il une inégalité entre eux et nous, quand nous avons fait la même chose auprès de l'armée française?" questionne-t-il.
Les ex-interprètes vivant en France avaient sollicité début novembre un entretien avec les ministres des Affaires étrangères et de la Défense, Jean-Marc Ayrault et Jean-Yves Le Drian, à qui ils avaient demandé de rétablir "l'honneur" de l'armée française.
Après plusieurs mois de silence des autorités, leur mobilisation mardi a fini par porter ses fruits : ils seront reçus à 18H00 au ministères des Affaires étrangères, se sont-ils réjouis.
Quelque 700 Afghans ont travaillé entre fin 2001 et fin 2014, auprès des troupes hexagonales comme mécaniciens, employés de ménage ou interprètes. Mais seule une centaine parmi ces derniers ont bénéficié d'un processus de "relocalisation" en France.
'On me traite d'espion'
Les autres, restés au pays, vivent aujourd'hui dans la crainte, après avoir pris des risques aux côtés des troupes françaises déployées face à l'insurrection talibane. Le contexte sécuritaire est tendu : un attentat à Kaboul revendiqué par les talibans a encore fait mardi 30 morts et 80 blessés.
"Je reçois des appels me traitant d'espion pour avoir travaillé avec des militaires étrangers", confie à Kaboul Noorzai Mohammed Amin, 50 ans.
"Daech (acronyme arabe du groupe Etat Islamique) et les talibans nous recherchent, s'ils nous trouvent ils nous égorgeront pour avoir travaillé avec des armées étrangères", s'effraie à ses côtés Habibullah Habib, 24 ans, dont deux comme interprète pour les Français dans la meurtrière vallée de la Kapisa, au nord-est de Kaboul, particulièrement infiltrée par les insurgés.
Installé chez des proches dans la province de Parwan, au nord de Kaboul, il dit avoir reçu plusieurs lettres anonymes le menaçant de mort, lui et sa famille.
"Parfois je suis obligé de porter une burqa pour sortir dans la rue et aller travailler. Mon père porte un masque pour se rendre à la mosquée. Mes frères ne vont plus à l'école", relate Habibullah Habib.
Lui a vu sa demande de visa rejetée en 2013, puis de nouveau en 2015. "Sans jamais aucune explication: j'aimerais bien savoir pourquoi", soupire-t-il.
Conséquence de cette situation, au moins dix ex-interprètes, au péril de leur vie, ont pris la route de l'exil pour se rendre en France, regrette lors de la manifestation parisienne Caroline Decroix, ancienne avocate devenue vice-présidente d'une association les défendant.
Seule Marion Maréchal-Le Pen, parmi le personnel politique français, s'est récemment positionnée en leur faveur. Mi-décembre, la députée FN, dans une question écrite au gouvernement, demandait une "clarification" sur des refus de visas considérés comme "arbitraires et injustes" vis-à-vis d'hommes "ayant servi les forces françaises" qui courent "un réel danger de mort".
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