Dès le milieu de l'hiver, l'île Rouzic, au large de Perros-Guirec, se couvre de milliers de fous de Bassan. Le macareux moine, silhouette noire et blanche un peu ronde et bec orange, n'arrive lui qu'au printemps sur Rouzic ainsi que sur ses voisines, Bono et Malban.
Au début du XXe siècle, avec l'arrivée du chemin de fer, la chasse intensive a conduit à la création de la première réserve ornithologique grâce à la toute jeune Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), qui aujourd'hui gère cette réserve nationale. Son recensement l'été dernier est préoccupant: seuls 130 couples de macareux y ont niché, contre 162 en 2015 et entre 7.000 à 8.000 dans les années 1950, avant une dramatique série de marées noires.
Ce niveau de population, sur le "dernier bastion de l'espèce en France métropolitaine", montre "le degré de vulnérabilité de cette espèce" qui ne se reproduit qu'à raison d'un poussin par couple et par an, souligne Pascal Provost, le conservateur de la réserve.
Dans sa liste rouge des espèces menacées de disparition en France, l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) estime que le macareux moine est dorénavant "en danger critique" d'extinction.
L'avenir de l'espèce repose surtout sur des paramètres démographiques et sur des facteurs écologiques, notamment l'abondance des ressources alimentaires, note M. Provost. Des études à long terme permettront aussi d'analyser les effets du changement climatique.
"Ressources marines"
La colonie des fous de Bassan, également unique sur le territoire français, se porte mieux: quelque 21.000 couples l'été dernier. Mais alors qu'elle augmentait depuis les années 1980, "on assiste, ces dernières années, à une stabilisation, voire à une régression", assure David Grémillet. Directeur de recherches au CNRS, ce dernier travaille au Centre d'écologie fonctionnelle et évolutive (Cefe) de Montpellier, qui suit l'espèce en équipant certains individus de GPS et de caméras.
"Pour nous, scientifiques, il y a deux raisons de s'inquiéter", explique-t-il. "La première, porte sur l'état des ressources marines. On voit chaque année, les fous de Bassan parcourir des distances de plus en plus importantes --jusqu'à 600 km-- pour trouver des ressources alimentaires". Selon le chercheur, c'est le signe "que la ressource se raréfie en Manche Ouest", là où se nourrissent ces oiseaux majestueux.
La ressource se tarit aussi au large des côtes d'Afrique de l'Ouest, zone de migration de l'espèce après l'été, mais aussi zone de pêche intense, voire illégale. Des oiseaux eux-mêmes, pourtant espèce protégée, y sont capturés, pointe M. Grémillet. "On est très inquiets car cette mortalité affecte les adultes", leur reproduction étant aussi limitée à un poussin par an et par couple.
Autre sujet de préoccupation: la réglementation européenne qui vise à interdire les rejets de poissons non désirés par les pêcheurs. Or, les fous de Bassan se nourrissent en partie derrière les chalutiers.
Garantir la survie des deux colonies passe par la préservation de la qualité de l'environnement aux Sept-Iles et alentour, souligne M. Provost. Des associations pointent ainsi les conséquences négatives que pourrait avoir le projet d'extraction de sable d'une dune sous-marine toute proche, en baie de Lannion, un secteur abritant une partie des proies potentielles des oiseaux marins de la réserve.
M. Grémillet plaide également pour une "reconstitution des stocks" de poissons, nécessaire tant pour les oiseaux que pour les pêcheurs qui souffrent eux aussi de leur raréfaction.
Pour le chercheur, il faut donc "développer la pêche artisanale côtière et arrêter de subventionner les grosses unités de pêche". "C'est manifestement difficile à mettre en place", regrette-t-il. Mais le risque, "c'est que la population de macareux s'éteigne localement". Et, pour les fous de Bassan, qu'"elle continue de décroître".
Des solutions réglementaires existent pourtant,telles que la création d'aires marines protégées et de réserves halieutiques, rappelle M. Provost.
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