"J'ai décidé une bonne fois pour toutes, il y a vingt ans, de me libérer de l'anxiété de la notoriété. Évidemment, pour ceux qui aiment la littérature, les livres suffisent", expliquait en 2015 au magazine Vanity Fair celle qui se fait appeler Elena Ferrante.
L'entretien avait été fait par mail, comme l'exige l'écrivain italien le plus lu au monde mais aussi le plus secret, dont le 3e tome de sa saga "L'Amie prodigieuse" ("Celle qui fuit, celle qui reste") sortait ce mardi dans les librairies françaises.
Depuis, un journaliste italien a mené une enquête très poussée pour la démasquer en analysant les flux financiers de sa maison d'édition.
Ces méthodes sont celles utilisées pour traquer le crime organisé, dénonce Vincent Raynaud, son éditeur chez Gallimard. "Tout ce qui est mystérieux est intriguant, comme si on n'avait pas le droit d'avoir du succès sans jouer le jeu", indique-t-il.
Lui-même n'a jamais rencontré l'auteur: il lui écrit via son éditeur italien et s'en accommode parfaitement. "Je suis plus intéressé de savoir ce qu'elle va écrire par la suite" que de découvrir son identité, souligne-t-il.
Résultat de l'enquête: Elena Ferrante ne serait ni un collectif, ni un couple, ni même un auteur célèbre caché sous un pseudonyme mais une traductrice romaine du nom d'Anita Raja, ce qui n'a pas été confirmé officiellement.
"Le secret est toujours décevant. Quand on saura vraiment qui est cette Elena, on sera déçus", estime le sociologue Stéphane Hugon. En attendant, "cela réinjecte un peu de mystère dans une époque qui a besoin de fiction", poursuit celui qui étudie l'imaginaire et porte un oeil attentif à la pop culture.
Acte de 'résistance'
Cacher son identité, selon lui, est également un acte de "résistance" dans une société de la transparence et de la certitude. Une posture qui évoque le travail du street artist Banksy, qui fuit les médias (lui aussi ne répond que par mail), cache son identité et dénonce en même temps l'espionnage massif à l'ère d'internet.
Comme pour Elena Ferrante, le démasquer est un défi pour nombre d'admirateurs et de journalistes. Dernière rumeur en date: il serait un membre du groupe Massive Attack, comme lui originaire de Bristol.
Mais tous les artistes en quête d'anonymat ne sont pas logés à la même enseigne, pointe Philip Auslander, professeur de littérature et de communication au Georgia Institute of Technology (Etats-Unis), faisant la distinction entre ceux qui ne veulent plus ou pas apparaître en public, souvent traqués, et ceux qui apparaissent masqués ou sous un avatar comme les Daft Punk.
"Les artistes musicaux qui sont déguisés protègent leur vie privée, mais ils suggèrent également que c'est leur image sur scène qui est importante, pas leur identité", explique l'universitaire.
Ils parviennent ainsi à renverser les codes habituels de la promotion à leur avantage. Une stratégie qui fonctionne à plein pour les deux compères de Daft Punk: toujours cachés sous leur casque de robots, ils n'ont jamais tu leur identité.
"Le problème est qu'à partir d'un certain moment, les Daft Punk ne peuvent plus enlever leur casque", devenu leur marque de fabrique, glisse le sociologue Stéphane Hugon.
Autre risque, que l'anonymat devienne un phénomène de mode, voire un filon.
L'éditrice Sabine Wespieser qui publie en février un beau premier roman ("Joie" de Clara Magnani) dont l'auteur a choisi un pseudonyme féminin à consonances italiennes, sait que la comparaison avec Elena Ferrante sera inéluctable.
"Tout ce que je souhaite est le même succès à ce livre dans lequel j'ai tout à fait confiance", affirme-t-elle, car "le mystère de l'identité n'est pas pertinent s'il n'y a rien derrière" artistiquement.
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