Dans cette classe d'une école publique du XXe arrondissement de Paris, les enfants de sept ans doivent lever le doigt pour se voir remettre un petit micro. "Le Père Noël n'existe pas car j'ai deux photos de lui. Sur l'une il est jeune, sur l'autre il est vieux", déclare un des élèves.
"Je ne suis pas d'accord avec Iliane. Je l'ai vu à la fête du travail de mon papa et il m'a dit avoir bien reçu ma lettre", répond son petit voisin, qui comme les autres intervenants commence sa prise de parole par "je suis d'accord avec..." ou "je ne suis pas d'accord avec...".
"Habiter au pôle Nord, ce n'est pas possible". "Et les Esquimaux? Le Père Noël est peut-être un Esquimau". La séance d'une vingtaine de minutes, sans quasiment aucune intervention du professeur, se conclut par les mots de Joséphine: "Pour certains c'est le Père Noël qui amène les cadeaux. Pour d'autres ce sont les parents. On ne peut pas savoir, on ne l'a jamais vu".
Les enfants viennent de participer au moment "Je réfléchis" de leur enseignement. Conçue par l'instituteur Célestin Freinet (1896-1966), cette pédagogie "toujours en construction" place l'expression, la création, le tâtonnement expérimental et la coopération avec les autres élèves au coeur de l'apprentissage.
Elle a peu à peu irrigué l'école dite classique, qui s'est inspirée des sorties scolaires, écritures de textes, rédaction d'un journal de classe, moments de paroles mis en avant par Célestin Freinet, explique Catherine Chabrun, rédactrice en chef de la revue du mouvement, "Le Nouvel éducateur". Mais, selon elle, ces "techniques" sont appliquées "sans les grands principes qui les articulent et leur donnent toute leur cohérence".
- Apprendre "pour de vrai" -
La journée de classe de Daniel Gostain, qui s'appuie sur Freinet depuis dix ans, est rythmée par une succession de "temps" ("temps libre et calme", "j'apprends à lire", "je fais un projet", "nous apprenons", "je fais partager", etc.). Le programme, affiché au tableau, est lu en début de classe par deux élèves qui demandent ensuite "Y-a-t-il des questions ou des réactions ?".
Une série de rituels qui donnent un cadre aux interventions des élèves. De fait, ils participent, bougent à travers la classe à certains moments, mais la matinée s'écoule dans le plus grand calme.
Car "respecter la place de l'enfant, ce n'est pas prôner l'enfant-roi. La démocratie et ses règles permettent d'articuler les places de chacun", affirme Catherine Chabrun.
Pour Daniel Gostain, cette pédagogie "crée les conditions pour que les enfants s'expriment, osent, cherchent, s'étonnent, se questionnent, alors qu'ils sont dans une structure qu'ils ne choisissent pas". "Les enfants apprennent pour de vrai".
Pas de rangées de tables mais une disposition des bureaux en arc de cercle, avec un passage au milieu pour que les enfants puissent circuler.
Au mur, des cartes, des conjugaisons, des bandes numériques, comme dans une salle de classe classique. Lecture, explication de la soustraction, puis "temps de travail individuel": chaque enfant se saisit de son classeur, avec un programme de travail à accomplir sur deux semaines, selon l'ordre qu'il choisit. S'il cale, il accroche une étiquette à son nom sur le tableau pour le signaler au maître.
Après une période de déclin, la pédagogie Freinet connaît un regain, avec aujourd'hui quelque 3.000 professeurs des écoles qui s'en réclament. Et toujours au sein de l'école publique, "car c'est une pédagogie populaire, ancrée dans la société, pour tous les enfants", selon Catherine Chabrun.
Elle a, au fil des décennies, essaimé à l'étranger, avec une cinquantaine de mouvements, dont le dernier-né a vu le jour en Grèce.
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