Comme plus de 700 autres sans-domicile-fixe, Guillaume a intégré le programme il y a quatre ans, après avoir rencontré une enquêtrice du programme dans un foyer. Elle lui a fait "tirer la bonne enveloppe", raconte-t-il à l'AFP, comme s'il avait gagné au loto.
L'étude médicale lancée par une équipe de l'Assistance publique-Hôpitaux de Marseille en 2011 comporte deux groupes de sans-abris volontaires, à l'instar des études sur les médicaments: un groupe "témoin" qui reste dans la rue, et un groupe de sans-abris logés dans des appartements en ville. Guillaume, tiré au sort, fait partie du second.
"Le risque d'avoir une maladie mentale est multiplié par dix quand on vit dans la rue", constate Pascal Auquier, professeur de santé publique et de médecine sociale, qui supervise le projet. "Le but d'+Un chez soi d'abord+ c'était de montrer que loger les gens coûte moins cher que les laisser à la rue".
Une équipe soignante rend visite aux bénéficiaires du programme : "à partir de ce qu'on constate dans le logement, on discute, notamment des problèmes de santé, mais on ne leur pose pas plus de limites qu'à des locataires lambda", constate Raphaël Bouloudnine, psychiatre d'"Un chez-soi d'abord".
L'idée du "housing first" vient d'Amérique, où des études concluantes ont été menées aux États-Unis et au Canada dans les années 2000.
"On nous a pris pour des fous"
"Lors de la première présentation du projet à Marseille, nous avons senti une véritable hostilité, on nous a pris pour des fous", se souvient le professeur Auquier: "C'est comme si nous remettions en cause tout ce que faisaient les acteurs traditionnels, il y a eu une coalition contre quelque chose qui venait de l'extérieur".
Quatre ans après l'inclusion du premier patient en 2012, l'étude a apporté des résultats sans ambiguïté: elle a notamment montré son efficacité en termes de coûts. "Un sans-abri coute très cher à la société: il va aux urgences, au Centre médico-psychologique, en prison, dans des structures d'hébergement temporaire...", explique le Pr Auquier. Sur un an, un SDF atteint de troubles mentaux (la moitié des gens à la rue environ) coûte 17.000 euros à l'État, contre 14.000 pour les gens logés par "Un chez soi d'abord", calcule-t-il.
"Dans la rue, on se bat, on se blesse, on tombe malade en permanence, et parfois on va à l'hôpital juste pour dormir au chaud", relate Guillaume.
Dans le groupe des 353 "logés", 90% sont encore locataires en 2016. Dans le groupe des SDF restés à la rue, 25% seulement ont réussi à accéder à un logement individuel après quatre ans.
L'ensemble des personnes logées par le programme a repris des liens avec son entourage, amis ou famille et 20% ont une activité professionnelle ou sont en formation. Devant le succès de l'initiative, le programme a été inscrit dans la loi de financement de la Sécurité sociale, et la perspective de déploiement du modèle dans 16 villes françaises entre 2018 et 2021 est envisagée.
Retrouver un domicile a été "une renaissance" pour Guillaume. Il s'est aussitôt fait refaire une carte d'identité. "Quand on n'a pas de maison, on cesse d'exister", affirme-t-il. L'ex-SDF apprécie surtout la sécurité : "Quand j'ai emménagé, j'ai dormi trois jours d'affilée". Surtout, l'ancien toxicomane s'est débarrassé de la plupart de ses addictions et est rentré "dans une spirale positive", assure-t-il.
Aujourd'hui, il écrit un roman ainsi que des lettres à sa fille avec qui il a renoué des liens : "Avant, j'étais dans la rue ou en prison, je n'étais pas un modèle pour elle".
Au mur de son unique pièce, Guillaume a griffonné ses comptes sur un carton : EDF, cigarettes... Même si avec l'aide des APL, il ne débourse que 45 euros de loyer par mois, ses finances sont serrées, avec le RSA pour unique revenu. "La prochaine étape, c'est l'emploi", assure-t-il.
Guillaume ne côtoie presque plus de SDF, il est "passé de l'autre côté". Mais trois nuits par mois, il héberge, sur un matelas entre des piles de livres et une petite cuisine, un sans-abri qu'il connaît depuis dix ans, "parce qu'on ne peut pas fermer les yeux sur ceux qui restent".
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