Ses chansons ont égayé nos plus beaux feux de camps et traversé les modes. A 78 ans, le troubadour Hugues Aufray réaffirme avec force les valeurs éternelles de tolérance et de fraternité. Sous l'éclairage de sa foi chrétienne.
Vous vous affirmez comme chrétien, qu'est-ce que ce terme recouvre pour vous ?
Avant tout, je parlerai de mes racines chrétiennes. De mon grand-père paternel, Jules Auffray, que je n'ai jamais connu et qui, au début du XXe siècle, était un brillant avocat parisien et un député influent. Estimant qu'on ne pouvait «servir deux maîtres à la fois».
Ce sont les oubliés, les délaissés, tous ceux qui sont en quête d'identité... qui ont besoin qu'on les aide et qu'on parle d'eux. Evidemment je faisais déjà allusion à eux dans mon répertoire des débuts, par exemple dans Céline, ou Stewball qui, racontant des histoires de vies humbles, se réfèrent à l'amour dans ce qu'il a d'universel. Comment ne pas évoquer également Le petit âne gris comme un hommage à tous ceux qui travaillent dans la modestie et l'effacement ? Cette chanson, je l'ai même interprétée dans la grotte de Lourdes, il y a quelques années, lors d'une célébration de communions solennelles où j'étais arrivé incognito. Devant ces milliers de gens rassemblés, j'étais très ému. Dans ce lieu unique au monde, j'ai en effet ressenti le sens profond des paroles : «Image d'Evangile vivant d'humilité», pour évoquer ce symbole de loyauté et d'honnêteté, de don de soi. Je m'en souviens comme un des plus beaux jours de ma vie.
L'Evangile, et donc le Christ, ont-ils eu un impact dans votre vie ?
A la fin des années 1970, je me suis mis aussi à lire la Bible quand mon ami Bob Dylan s'est converti au christianisme. Une lecture qui m'est apparue indigeste, mais après laquelle j'ai redécouvert le Christ avec son message moderne, transparent, accessible. Et ces trois paroles qui me paraissent essentielles et suffisantes : «Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés» ; «On ne peut servir deux maîtres à la fois : Dieu et l'argent» ; «Pardonnez à vos ennemis». J'avoue que j'ai beaucoup de mal avec l'amour des ennemis... Pour autant je suis resté fidèle à ces valeurs humanistes que je chantais il y a plus de quarante ans et qui sont éternelles : le pacifisme, l'anti-racisme, l'écologie, l'entraide, la fraternité sans frontières... Je les chante encore aujourd'hui.
Vous n'avez jamais songé à «décrocher» du monde de la chanson ?
Evidemment, non. Bien sûr, j'ai déjà toute une vie derrière moi et maintenant, j'ai l'impression de faire du «rabe». En fait, ma façon de me préparer à la mort, c'est sans doute de continuer à cultiver mes potentialités. En me laissant interpeller par cette phrase de l'Evangile : «Qu'as-tu fait de ton talent ?» Et ma réponse est celle-ci : «Seigneur, je vais essayer maintenant de faire beaucoup plus, car vous m'avez donné bien des talents que je n'ai pas assez utilisés»... sans doute par excès d'orgueil et de modestie.
Mais pourquoi ai-je suivi cette voie ?
Cela reste pour moi un mystère. C'est certainement parce que quelque chose de l'âme de mon frère m'a inspiré, mon frère Francesco qui s'est suicidé en 1955, à 27 ans. Il avait un an de plus que moi et se destinait à une brillante carrière de musicien. Or, au moment où je commençais à peine à chanter, il m'avait dit : «Toi, tu seras concertiste...» Sa disparition a été pour moi une très grande épreuve. Je ne l'aurais jamais surmontée sans la présence de ma femme et de ma fille à mes côtés.
Aussi, lorsque je rencontre des gens d'une générosité rayonnante, j'ai le sentiment qu'ils sont animés par cette intelligence supérieure qui dépasse leur simple présence physique. Selon moi, Dieu a créé le monde et nous a créés... en laissant toutefois une part de nous inachevée, qu'il nous reste à accomplir, comme je l'exprime dans ma chanson : «Pour faire un homme, mon Dieu que c'est long...» De petites morts en renaissances, tel est, tout au long de la vie, notre chemin de Pâques. Et l'aventure en vaut la peine. (Texte inspiré de la revue Prier)
Hugues Aufray (Piste 1)
Hugues Aufray (Piste 2)
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