"J'ai mon petit sapin et pour le réveillon, j'ai invité des potes de la rue, ma fille, mon ex-femme..." Dans son studio du centre de Paris, Jean-Marie Roughol se prépare à célébrer le passage à une nouvelle année, qui tournera la page de 28 ans de rue. Depuis six mois, l'ancien sans-abri de 48 ans a enfin un toit, dont il peut payer le loyer grâce à ses droits d'auteur.
Tout a commencé par une rencontre avec Jean-Louis Debré. Le SDF lui garde son vélo, les deux hommes discutent, se revoient, sympathisent. Un jour, un couple passe près d'eux, l'homme dit "Regarde, Debré parle à un clodo", raconte le politique, encore ulcéré du mépris exprimé: "Je me suis dit, de deux choses l'une, ou je vais le voir et je lui fous une baffe... C'est pas bien. Ou alors je vais raconter l'histoire de Jean-Marie et il va voir que son histoire sera bien plus intéressante que la sienne."
Jean-Marie Roughol se prend au jeu, remplit des cahiers que Jean-Louis Debré retranscrit et retravaille. Deux ans plus tard, en octobre 2015, le duo accouche d'un livre, "Je tape la manche" (Calmann-Lévy).
L'ouvrage se vend à plus de 37.000 exemplaires, est traduit en chinois, coréen et tchèque et vient de sortir en poche. "Personne ne s'y attendait", commente l'ex-ministre, confiant qu'un premier éditeur avait balayé le manuscrit d'un "C'est sans intérêt".
Jean-Marie Roughol alterne alors passages en plateau télé et longues heures de manche pour se payer l'hôtel. En juin, il touche ses droits d'auteur et quitte enfin le trottoir.
"Une star"
"Quand je suis arrivé je n'avais que mes vêtements", raconte-t-il. "On m'a donné des rideaux, des meubles", poursuit-il. Lui s'est acheté une télé - "mon grand plaisir" -, et une console vidéo.
Mais pas évident de s'habituer à cette nouvelle vie. "Au début, c'était dur", confie M. Roughol. "Je tournais dans la pièce", "le matin je me réveillais en me disant +Il faut que je me dépêche d'aller faire la manche pour payer la chambre+".
Petit à petit, il prend ses marques, retrouve le plaisir de cuisiner, d'inviter des amis, et peut enfin voyager: "Ca faisait au moins vingt ans que je n'avais pas mis le pied sur une plage".
Lui qui avait l'impression de "n'être plus rien" a le sentiment aujourd'hui de "réintégrer la vie active".
Mais "je reste simple", assure-t-il. Quand il retourne avenue Montaigne, dans le très chic VIIIe arrondissement où il a fait la manche dix ans, les "habitués" qu'il croisait chaque jour l'interpellent en souriant.
"Ça y est tu es une star!", rigole une connaissance. "Ça me fait plaisir de ne plus le voir... Je suis ravie pour toi", lance-t-elle.
"Les gens me disent que le bouquin les a fait beaucoup réfléchir", explique Jean-Marie Roughol. Dans la rue, il a connu la solidarité mais aussi les vols, les agressions, la mort de copains, "de très bons trucs" et des "mauvaises périodes".
Aujourd'hui, il reste proche des personnes sans domicile fixe, en s'impliquant par exemple dans l'association Entourage qui met en relation sans-abri et riverains. Et commence à noircir les pages d'un nouveau cahier pour raconter sa nouvelle vie.
Toujours à ses côtés, Jean-Louis Debré, son "ange gardien", continue à l'épauler, inquiet pour son protégé. Il lui conseille de "fumer moins", "arrêter la télé", "trouver du boulot" et "ne pas prendre la grosse tête".
"Il m'a appris beaucoup plus que je ne lui ai appris", assure l'ancien ministre de l'Intérieur. "Il m'a fait découvrir ses copains, ce monde de la rue, ce monde de la violence... Il m'a fait découvrir une histoire qui à bien des égards est dramatique mais je voudrais que cette histoire se termine bien."
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