Une main gantée de latex plongée dans les entrailles d'un esturgeon extrait délicatement les gonades d'une femelle arrivée à maturité: une grappe luisante d'ovocytes gris de quelques millimètres de diamètre.
A l'aube, les employés s'activent pour récolter les oeufs, un rituel d'une douzaine d'étapes manuelles.
L'esturgeon est d'abord assommé et saigné, c'est l'abattage. Après la récolte des gonades, les oeufs sont tamisés, puis triés tels des diamants, à la pince à épiler, lavés, salés, avant le "dégouttage" (séchage), la mise en boîte et le stockage en chambre froide.
Chez Sturia, pionnier français de l'esturgeon d'élevage, à Saint-Genis-de-Saintonge (Charente-maritime), Sébastien est au tamis: "Au début, j'avais une appréhension de casser les oeufs (en les écrasant, NDLR). En fin de compte, c'est solide et maintenant, j'ai l'habitude!".
Mais ce qui explique en grande partie le coût élevé du caviar, c'est tout ce qui se passe avant.
Chez Perle noire, aux Eyzies de Tayac, Maxime Rouet barbote dans un bassin entouré de chênes de la Dordogne profonde.
A l'aide d'une seringue, le technicien pratique des biopsies. Si les oeufs ont fière allure, leur génitrice partira en laboratoire, sinon elle sera remise à l'eau.
Avant d'en arriver là, il aura fallu entre six et dix ans, selon le producteur, pour que ces poissons du crétacé produisent les ovocytes vendus généralement quelque deux euros le gramme au consommateur.
"On a une eau très froide, près de la source, ce qui permet de ne jamais avoir de maladie et de ne pas avoir à traiter l'eau ou à utiliser d'antibiotiques", explique Véronique Besse, de Perle noire.
"S'il fallait mettre de la musique classique, je le ferais" : à quelques kilomètres des Eyzies, Laurent Deverlanges, producteur à Neuvic (Dordogne), s'autorise un brin de grandiloqence pour démontrer qu'il met "tout en oeuvre pour avoir le meilleur caviar".
Mais cela ne l'empêche pas de rationaliser sa production: outre les oeufs, la chair est revendue pour faire des filets, la tête et la queue sont transformées en soupe, et la graisse recyclée en collagène et savon.
Vieilli en cave
A la fin de l'année, au pic de la récolte, quelque 150 poissons sont abattus chaque matin. Pour quatre qualités de caviar: 0 (beurre de caviar), 1 (caviar gris), 2 (épicerie), 3 (chefs) et 4 (réserve). Après trois tonnes cette année, ce nouvel acteur du caviar du Sud-Ouest vise à terme 5/6 tonnes. La France, 4e producteur mondial derrière la Chine, la Russie et l'Italie, a produit en 2016, 30 tonnes de caviar.
Aux Eyzies, devant l'un des bassins qui accueillent les poissons gris de souche sibérienne, Véronique Besse revendique, elle, "une production basse densité", qui devrait se situer cette année entre 700 et 1.000 kilos.
Dans cette zone "préservée de toute pollution", l'eau de la Beune est très calcaire. Ca tombe bien. "Le poisson, privé d'arête, a besoin de beaucoup de calcium pour faire son cartilage", explique Mme Besse.
Après sa mise en boîte, le caviar devra attendre: "ça se travaille comme un fromage, on le vieillit en cave, minimum trois semaines, jusqu'à un an", explique Frédéric Vidal, patron de Perle noire et ingénieur agronome.
"C'est l'élevage qui donne le goût, la qualité de l'eau, l'environnement, ce qu'on donne à manger au poisson", explique cet entrepreneur "imprégné par les images du commandant Cousteau", qui donne à ses poissons une nourriture "sans OGM, sans antibiotiques, sans farine d'animaux terrestres".
Face à l'augmentation incessante de la production mondiale et de la demande, certains sont déjà en embuscade.
"Plus les femelles sont vieilles, plus elles produisent des oeufs de grande taille et avec un meilleur rendement", explique M. Deverlanges, qui travaille à la mise au point d'un procédé pour récolter les oeufs sans avoir à tuer leur mère. De nouveaux horizons au caviar français.
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