De nombreuses caméras ont immortalisé les volutes enflammées et, en brûlant 5% du stock mondial d'ivoire, le Kenya a lancé un message fort aux braconniers toujours mieux armés qui déciment les pachydermes: "L'ivoire n'a de valeur que sur un éléphant".
Le coup de com' était brillant, permettant au Kenya de promouvoir une approche combinant une militarisation accrue de la lutte contre le braconnage et un suivi judiciaire ferme mais, surtout, ne devait rien au hasard.
"Il nous reste encore un immense chemin à parcourir mais le niveau de prise de conscience politique est remarquable par rapport au passé", assure à l'AFP John Scanlon, secrétaire général de la Convention internationale sur le commerce d'espèces sauvages menacées (Cites).
Face à la recrudescence des massacres d'éléphants et de rhinocéros, la prise de conscience a commencé vers 2010 à gagner les plus hautes sphères de la société, portée par des personnalités comme le prince William, et les appels répétés de gouvernements et ONG à interdire "totalement" le commerce d'ivoire.
Et 2016 a abondé de signes d'une volonté de ne pas contempler passivement les effets du trafic d'espèces sauvages, question figurant depuis cette année dans le rapport de l'Office de l'ONU contre la drogue et le crime.
La Chine, considérée comme la principale source de la demande mondiale d'ivoire, a par exemple durci sa législation sur les importations d'"or blanc".
Début octobre, la Cites a renforcé la protection d'espèces menacées, comme les requins, pangolins et perroquets gris.
Et même si le débat persiste sur les moyens de lutter contre le braconnage des éléphants, les ONG ont salué le refus de la Cites d'accorder à la Namibie et au Zimbabwe une autorisation spéciale de vendre "leur" ivoire à l'étranger pour financer leurs programmes de protection, estimant que cela pourrait alimenter le trafic.
L'attention médiatique s'est surtout portée sur des espèces charismatiques telles l'éléphant, le rhinocéros, le lion ou les grands singes.
Mais "lorsqu'on protège l'éléphant et son habitat, ce sont toutes les espèces vivant dans cet habitat qui en bénéficient", rappelle Kelvin Alie, un haut responsable du Fonds international pour la protection des animaux (Ifaw).
Selon la Banque mondiale, les donations internationales destinées à combattre le trafic des espèces sauvages ont oscillé entre 200 et plus de 300 millions de dollars entre 2013 et 2016, contre 25 millions en 2010.
60.000 dollars le kilo
"Ce n'est pas parce qu'on a enregistré quelques succès à certains endroits qu'il faut s'imaginer que tout va bien", tempère toutefois Mark Gately, de l'ONG Wildlife Conservation Society. "Si nous ne décuplons pas nos efforts, nous courons à la catastrophe".
Certes, les populations d'éléphants sont relativement stables, voire en hausse, en Afrique du Sud, au Botswana, en Ouganda, dans certaines parties du Kenya, en Zambie, au Zimbabwe, au Malawi ou dans la réserve W-Arli-Pendjari, qui s'étend sur les territoires béninois, nigérien et burkinabé, mais la vue d'ensemble est loin d'être rose.
Selon l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), la population des éléphants d'Afrique vient d'enregistrer sa plus importante chute depuis 25 ans: le continent compte environ 415.000 éléphants, soit 111.000 de moins que lors de la dernière décennie.
Et le massacre continue au rythme vertigineux d'environ 30.000 éléphants par an.
Quant aux rhinocéros, dont la corne utilisée dans la médecine traditionnelle chinoise ou vietnamienne se vend jusqu'à 60.000 dollars le kilo au marché noir, plus de 5.000 d'entre eux, le quart de leur population mondiale, ont été tués ces huit dernières années en Afrique du Sud, qui abrite 80% de ces mammifères encore en vie.
La Cites estime que le trafic illégal des espèces animales brasse 20 milliards de dollars par an, ce qui en fait l'un des commerces illégaux les plus florissants de la planète.
Et si certains pays africains ont fait de la lutte contre le braconnage une priorité, d'autres affichent d'autres priorités (guerre, pauvreté, chômage, faim, développement...).
"Si le monde veut continuer à voir des espèces comme les rhinocéros et les éléphants en liberté, alors il faut que le monde tout entier apporte son aide", estime Richard Vigne, directeur de la réserve privée d'Ol Pejeta, au pied du Mont Kenya.
Drones et caméras thermiques
Dans cette âpre lutte, les observateurs se réjouissent du développement de réseaux de renseignement dignes des services secrets, de l'implication accrue des services de douane ou de la police, de l'adoption de lois prévoyant de lourdes peines ou du nombre croissant d'accords transfrontaliers.
"Il faut une approche holistique. Cela veut dire que si on déploie des rangers armés sur le terrain, on doit aussi réduire la demande d'ivoire et expliquer aux communautés locales qu'il y a un intérêt économique (le tourisme, ndlr) à protéger la faune", explique Andrew McVey, du Fonds mondial pour la faune sauvage (WWF).
En attendant, à travers l'Afrique, une véritable guerre doublée d'une course à l'équipement "high-tech" (drones, caméras thermiques, équipes d'intervention héliportées, formation des rangers par les forces spéciales) bat son plein.
"Nous nous considérons comme les ambulanciers de la Terre", assure Damien Mander, un ex-militaire australien qui dirige la Fondation internationale contre le braconnage (IAPF). "Ceux qui doivent s'assurer qu'elle arrive en vie sur la table d'opération pendant que les chirurgiens réfléchissent à ce qu'il faut faire".
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