Les livres sont autant de "passeports pour l'évasion", décrit avec enthousiasme Rose, 49 ans, dont trois passés en détention. Ballerines léopard aux pieds et lunettes de vue à la main, cette blonde élégante parle littérature avec passion.
"Lire me fait du bien", confirme Sofia, une détenue étrangère de 40 ans, qui a appris le français en prison. "Ça me fait sortir d'ici", explique cette brune aux cheveux plaqués par un serre-tête, fière d'avoir dévoré "sept livres" en moins d'un an de détention.
Depuis un changement législatif en 2014, la lecture permet aussi, comme d'autres activités culturelles proposées en prison, de pouvoir obtenir des réductions de peine.
"Mais la remise de peine, ce n'est pas une +carotte+ pour moi", observe Rose qui participe ce jour-là, à l'invitation de Lire pour en sortir, à une rencontre avec l'écrivain Olivia Resenterra.
"La détention, ça ramollit un peu le cerveau. On a des trous de mémoire au bout d'un moment, alors c'est important de rester connectée de toutes les manières possibles", remarque cette mère de famille, émue aux larmes par le sujet traité par la romancière qui la renvoie "à (s)a propre histoire".
Avec la jeune auteur du roman "Le garçon", les deux heures d'échange passent très vite, faisant oublier les barreaux aux fenêtres et les bruits de clé qui résonnent dans les coursives. Les regards las s'illuminent, les langues se délient, les questions fusent sur le travail de l'écrivain, ses sources d'inspiration.
Olivia Resenterra se dit, à l'issue de cette première visite en prison, "surprise par la qualité d'écoute".
L'idée de faire lire les détenus - qui passent souvent 22 heures sur 24 dans leur cellule - est née au Brésil en 2009. Sous l'impulsion d'un directeur de centre pénitentiaire, ce pays est le premier à avoir expérimenté la "rédemption par la lecture", programme qui permet à un détenu de voir sa peine réduite de quatre jours pour chaque livre lu. Très vite, les premiers résultats sont là: baisse de la prise de somnifères par les détenus, recul des violences.
5% de récidive
"Nous sommes persuadés que la lecture apporte en profondeur une construction de soi. Le livre vous oblige d'une certaine manière à réfléchir sur vous-même, sur les autres, sur votre environnement. Il vous rend plus intelligent, plus sociable", estime l'avocat Alexandre Duval-Stalla, président-fondateur de Lire pour en sortir.
Or, l'accès à la bibliothèque en prison peut être compliqué, les livres proposés en mauvais état ou peu renouvelés. L'association offre des ouvrages neufs aux détenus, qu'ils peuvent garder: BD, romans, ouvrages historiques... rien n'est interdit.
Et si lire crée du lien entre les détenues, qui peuvent parler ensemble d'"autre chose que du quotidien" et cesser de "s'abrutir" devant la TV, cela change aussi la relation avec le personnel pénitentiaire, témoigne une surveillante. "Ça nous fait un sujet de conversation avec les détenues. Ça fonctionne bien", souligne-t-elle.
S'appuyant sur le réseau de visiteurs de prison du Secours catholique et financée par des fondations privées, l'association, créée il y a un an et demi, s'est déjà implantée dans neuf établissements pénitentiaires.
"On a touché plus de 800 détenus", se réjouit M. Duval-Stalla. Et leur taux de récidive, 5% en moyenne, est bien moindre que celui de leurs co détenus (entre 39 et 63% selon les cas), assure-t-il.
Lire pour en sortir, qui va s'implanter dans la prison de Roanne (Loire) en janvier, compte toucher une quinzaine de prisons dans les deux ans qui viennent et 50 établissements à l'horizon 2019-2020, soit 10.000 détenus, espère M. Duval-Stalla.
"Après les maisons de la culture de Malraux, on aura les prisons de la culture", veut-il croire.
* Les prénoms des détenues ont été modifiés à la demande de l'administration pénitentiaire.
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