"Les honneurs, ce n'est pas si important", relativise en souriant la quinquagénaire à la fine silhouette, lors d'un entretien avec l'AFP à son domicile parisien. "Pour moi, ce qui compte, c'est de continuer ma recherche, d'essayer de trouver d'autres choses".
"En même temps, recevoir des honneurs c'est encourageant, cela compense les périodes où l'on n'est pas en forme et où l'on se demande si ce que l'on fait est utile", ajoute la scientifique qui fait de la recherche depuis 30 ans.
Regard clair derrière ses lunettes, les cheveux courts et le front barré d'une frange, Claire Voisin reçoit dans son bureau. Un tableau rempli de formules mathématiques couvre l'un des murs.
En juin, elle a été la première femme mathématicienne à entrer au Collège de France où elle est titulaire de la nouvelle chaire de géométrie algébrique (étude des propriétés des ensembles définis par un système d'équations algébriques).
"Je donne mes cours sans note car je trouve très important d'avoir à l'esprit ce que je veux raconter", indique-t-elle.
Claire Voisin a développé des mathématiques abstraites, à la frontière de plusieurs domaines de connaissance (géométrie complexe, géométrie algébrique, topologie).
C'est la quatrième fois seulement que la médaille d'or du CNRS est décernée à une femme, depuis sa création il y a 62 ans.
Claire Voisin avait déjà reçu la médaille de bronze du CNRS en 1988 puis la médaille d'argent en 2006. Elle s'est aussi vu décerner le prix du Clay Mathematics Institute (Etats-Unis) en 2008.
"De la géométrie à l'ancienne"
Née le 4 mars 1962 dans le Val-d'Oise, Claire Voisin est la dixième de douze enfants. "J'ai grandi dans une famille un peu bizarre, un peu bohème mais avec beaucoup de préoccupations morales. Martin Luther King, l'Abbé Pierre comptaient beaucoup chez nous."
Au lycée de Taverny, Claire Voisin trouve les maths "trop faciles, pas assez substantielles". Du coup, elle fait "de la géométrie à l'ancienne" avec son père, ingénieur polytechnicien qui se retrouve au chômage dans les années 1970.
Ce n'est pas un professeur de maths mais de lettres qui la marque, en lui faisant découvrir un poème de Philippe Jaccottet. Une prof de philosophie aussi.
"Mais les gens m'ont toujours remise dans le droit chemin": celui des maths, discipline dans laquelle elle excelle.
Boursière en classe préparatoire, elle intègre l'Ecole normale supérieure de Sèvres, section sciences, à 19 ans. Elle reçoit un salaire, qui lui procure "une formidable autonomie".
Agrégée de mathématiques à 21 ans, elle prépare une thèse, "comme une recluse", à l'université d'Orsay et la soutient à 24 ans.
Aussitôt recrutée au CNRS, en 1986, elle mène sa carrière d'abord à Orsay puis à l'Institut de mathématiques de Jussieu.
Elle épouse un mathématicien, Jean-Michel Coron, et a cinq enfants en dix ans. "Même lorsqu'ils étaient en bas âge, je n'ai jamais arrêté de faire des maths."
"J'ai toujours énormément travaillé. C'était formidable de pouvoir partager les tâches avec mon mari." "Les week-ends, nous alternions les présences à la maison pour permettre à l'autre d'aller travailler."
Etre mathématicien est "un métier difficile. Il est fait d'incertitudes à tous les niveaux et cela me convient admirablement", relève cette "solitaire".
"J'adore cette phase où on est dans une sorte de rêverie, au moment de lancer des pistes de recherche. Ensuite, il y a la partie la plus difficile: c'est de vraiment pouvoir se concentrer pour mettre en place tous les détails de la démonstration". "Vient ensuite la phase de communication, avec les exposés, les séminaires."
Claire Voisin a écrit plusieurs livres ("Théorie de Hodge et géométrie algébrique complexe") et publié quelque 70 articles.
Depuis 1954, la médaille d'or du CNRS distingue tous les ans l'ensemble des travaux d'un scientifique ayant "contribué de manière exceptionnelle au dynamisme et au rayonnement de la recherche française".
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