"Je pensais pas qu'il y en aurait autant!", s'exclame Stéphanie, oscillant entre émerveillement et crainte diffuse tandis que Zazou, Kiki et Pim se chamaillent entre les tables.
Cette banquière est venue avec ses deux enfants en bas âge, avec l'envie de partager son amour des animaux. "Je reviendrai, mais toute seule", glisse-t-elle, une fois son forfait "Chihuahua" épuisé - soit 30 minutes de présence payées quatre euros, avec sirop, thé et café à volonté.
Ce n'est pas la seule idée originale d'Ophélie Poillon, 24 ans, qui a ouvert le "Waf" voici un mois, après un master de management.
Son armada, cette mordue des chiens est partie la recruter dans des refuges gérés par des associations. Parmi les neuf canidés, trois sont en permanence proposés à l'adoption. Ophélie Poillon avait envie de "réunir les chiens en manque d'affection humaine et les humains en manque d'affection animale".
Elle espère ainsi capter l'air du temps et s'adresser à ceux que le travail, les transports chronophages et le coût du logement empêchent de posséder un chien. "Tous ces gens qui adorent les chiens mais qui disent +On ne peut pas en avoir car ils seraient malheureux+".
C'est le cas de Tristan, 21 ans, étudiant à Sciences Po Lille. "Chez mes parents à Paris, on a deux chiens. On en a toujours eu. Mais je ne les vois plus souvent et ici ça me relaxe", souffle-t-il entre deux bouchées de cookie, confortablement installé sur un pouf vert pomme.
"On a déjà un chat et j'adorerais avoir un chien, mais c'est plus de contraintes et question place c'est compliqué", regrette Stéphanie. Quant à Polly, 23 ans, le "Waf" lui permet de maintenir sa passion pour les chiens, elle qui s'est expatriée de Londres.
'Prestation de service affectif'
"Le fait que le concept nous paraisse insolite montre à quel point un certain milieu urbain s'est coupé de la présence animale", autrefois plus acceptée dans les commerces, observe Jérôme Michalon, sociologue et auteur de "Panser avec les animaux" (Presses des mines).
Dans une société où des milliers de chiens sont abandonnés chaque année en France, l'apparition du concept a quelque chose de paradoxal.
Le "Waf", "c'est un peu: +Je vais me prendre une heure de chien+! La génération des 20-35 ans s'est habituée à des rapports aux animaux spatialement et temporairement bornés", constate Jérôme Michalon.
Jocelyne Porcher, directrice de recherches à l'INRA et auteur de "Vivre avec les animaux, une utopie pour le XXIe siècle" (La Découverte), voit en cette tendance des bars à chiens et à chats "une prestation de service affectif menée sans perception de ce que cela coûte aux animaux".
"Les chiens sont bel et bien au travail, ils doivent adopter un bon comportement et des règles pour tenir les objectifs assignés. Si un chien aboie ou est agressif, il ne restera pas", pointe encore la sociologue. Et de souligner la ressemblance avec les chiens qui viennent en maison de retraite pour tenir compagnie aux personnes âgées isolées, des prestations au statut cette fois bien identifié.
"Le rapport est inversé, c'est davantage nous qui venons chez eux, plutôt qu'eux qui s'adaptent à nous", remarque néanmoins Tristan.
"Tant que les chiens sont heureux... Et là ils ont l'air très heureux!", relativise Ellie, 23 ans, en suivant du regard les jeux de balle du bouledogue français, des croisés Jack, Golden retriever et chien de montagne des Pyrénées.
"Ils sont mieux ici qu'en chenil", argue Ophélie Poillon. "Pépé ne faisait pas envie lorsque je l'y ai vu, alors qu'ici, il a la cote!"
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