"Micha", aujourd'hui âgé de 68 ans, ne danse pas stricto sensu dans cette production marquée du sceau de Bob Wilson, où il apparaît le visage grimé de blanc, dans l'élégant costume frac/chemise blanche fétiche de l'Américain.
"Ce n'est pas à proprement parler de la danse, mais plutôt du langage du corps (body language)", sourit-il.
S'il continue de faire ses exercices à la barre tous les matins, Baryshnikov ne suit plus la classe de danse de l'Opéra Garnier comme il avait coutume de le faire il y a encore quelques années lorsqu'il passait à Paris. "J'adore l'Opéra Garnier, j'aime bien y prendre des cours avec +les jeunes+", dit-il en français en souriant.
Au fil des ans, le danseur a développé une vraie familiarité avec Nijinski, dont il a rencontré dans les années 70 la femme, Romola, ainsi que la soeur et les deux filles, Kyra et Tamara.
"Tamara est venue me voir récemment dans le spectacle à Los Angeles, elle avait 96 ans et c'était une jeune fille, elle est absolument remarquable", dit-il.
"Nijinski est une figure fascinante pour tout danseur, chacun d'entre nous s'est essayé à ses rôles, des oeuvres classiques de Marius Petipa à ceux que Michel Fokine a créés pour lui, ("Petrouchka", "Shéhérazade", "Le spectre de la Rose"), et aussi ceux qu'il a lui-même créés, comme "L'Après-midi d'un faune".
Lorsqu'il parle de "L'Après-midi d'un faune" son bras se place souplement de profil et on entrevoit dans un éclair la silhouette de Nijinski (1889-1950).
Mikhail Baryshnikov garde un corps délié, une silhouette fine de danseur, guère plus grand qu'une ballerine, la mèche tombant toujours sur le front avec élégance.
Etrange créature
Nijinski, qu'il incarne sur les extraits des fameux carnets écrits alors que le danseur s'apprêtait à sombrer dans la folie à seulement 29 ans, était aux antipodes physiquement.
"A cette époque, la danse masculine n'était pas au top, les ballerines étaient les vraies divas, les Plissetskaïa, Pavlova etc. Et voilà que débarque cette étrange créature, pas très grand, pas très beau, avec une musculature extraordinaire, un corps athlétique et en même temps très doux, très ambivalent sexuellement ... il était ensorcelant".
Le danseur a autant fasciné (Jean Cocteau notamment) que scandalisé. Lors de la première du "Sacre du printemps" en 1913, les huées étaient telles qu'on n'entendait plus la musique...
"Nijinski a écrit ce journal intime en six semaines, et puis plus rien. Il s'est retiré dans l'obscurité et le silence pour le reste de sa vie", observe-t-il.
Le spectacle est sa deuxième collaboration avec Bob Wilson après "The Old Woman" (2013), où il formait un duo avec Willem Dafoe. "Bob est un caractère fascinant, pas toujours facile, mais intense (...) ce n'est jamais ennuyeux!"
Après avoir dansé sur les plus grandes scènes mondiales, des grands classiques comme "Giselle" aux pièces les plus contemporaines à partir de sa défection en 1974 au Canada, Mikhail Baryshnikov n'a "aucun regret pour la danse". Il assure même vouloir "prendre sa retraite un jour".
Il partage son temps entre les spectacles en solo ("Letter to a Man" et "Brodsky/Baryshnikov", sur le poète russe prix Nobel 1987) et le centre pluridisciplinaire "Baryshnikov Arts Center" qu'il a fondé à New York, où il réside.
Interrogé sur son pays de coeur, il assène un vigoureux: "je suis Américain, j'ai vécu à peine dix ans en Russie!"
L'élection de Donald Trump à la présidence américaine est "trop perturbante pour en parler", dit-il. "C'est une tragédie américaine".
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