C'est la troisième fois en un mois que le grand éléphant mâle en quête de nourriture surgit de la jungle, dans le sud-est de Sumatra (ouest de l'Indonésie).
"C'est le roi, il n'a pas peur des humains ou des armes, c'est son territoire", explique Dodot, un cornac expérimenté et capable de faire face à de telles situations.
Les confrontations entre éléphants et humains sont devenues de plus en plus fréquentes et inévitables. Le déboisement et la transformation de pans entiers de forêt en terrains agricoles poussent les pachydermes à explorer les zones habitées.
De nombreux éléphants de Sumatra sont abattus simplement pour avoir pénétré sur un champ exploité par des villageois. D'autres sont victimes des braconniers qui récupèrent leurs défenses pour revendre l'ivoire au marché noir.
C'est pourquoi les cornacs comme Dodot ont un rôle primordial de "médiateur" entre l'homme et l'éléphant, 24 heures sur 24.
Ces gardes-forestiers juchés sur des éléphants nés en captivité forment au total trois unités disséminées dans des points chauds autour du parc national de Way Kambas, où des zones habitées côtoient une forêt abritant environ 250 éléphants sauvages de Sumatra.
Difficiles à traquer
A la station de Margahayu, une demi-douzaine de gardes-forestiers vivent toute l'année sur un territoire isolé. Ils se déplacent par groupe de six éléphants nés en captivité. Les cornacs surveillent en particulier les zones "frontières" entre humains et pachydermes. A dos d'éléphant, ils voient mieux ce qui se passe et peuvent suivre la trace de troupeaux dans cet immense parc composé de forêt tropicale et marécages, qui s'étend sur 1.300 kilomètres carrés.
"Quand nous apercevons des éléphants sauvages, nous informons la communauté, ainsi que nos équipes à l'extérieur pour qu'elles soient aux aguets", afin d'éviter au troupeau de se diriger vers des zones habitées, explique à l'AFP Eko Arianto, l'un des gardes-forestiers.
Mais les tensions restent vives. Des agriculteurs en colère répandent du poison ou allument des feux pour se débarrasser des pachydermes qui menacent leurs cultures.
Le constat du Fonds mondial pour la nature (WWF), ONG écologiste, est alarmant: près de 70% de l'habitat naturel des éléphants sauvages de Sumatra a été détruit en 25 ans et la moitié de l'espèce anéantie.
Elle a été classée en voie de disparition en 2012 par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
Les gardes-forestiers ont plus de difficultés à traquer les mâles dominants qui sont solitaires: ils émergent subitement de la forêt, dévastent des champs où ils se nourrissent, puis disparaissent.
Et il suffit d'un incident mineur pour ruiner la relation de confiance que les gardes-forestiers ont établie avec des communautés locales. Celles-ci considèrent les éléphants comme une menace existentielle et blâment les responsables du parc à chaque incident.
Afin de créer un esprit de responsabilité commune concernant l'avenir de cette espèce, les équipes de gardes-forestiers recrutent des membres parmi les communautés locales.
"Nous nous efforçons de trouver des moyens qui permettent aux gens de coexister avec des éléphants. Si la communauté se sent concernée, les gens aideront à protéger" ces animaux, estime M. Arianto.
Repérer les pièges
La diplomatie des gardes-forestiers porte ses fruits: la fréquence des conflits homme-éléphant a baissé de 80% depuis que les patrouilles ont commencé dans cette zone en 2015, selon les cornacs.
Récemment, des agriculteurs ont effectué une première récolte sans connaître aucun dommage, pour la première fois depuis des années, souligne Dodot.
"Avant nos patrouilles, les agriculteurs étaient constamment sur leurs gardes. Maintenant, il dorment tranquilles", dit-il à l'AFP.
Outre leur mission de médiation, les cornacs repèrent et désactivent des pièges posés par des braconniers associés à des réseaux criminels qui se livrent au commerce d'espèces exotiques protégées. Un travail dangereux. L'an passé, un éléphant d'une des patrouilles a été retrouvé mort à la station, dépouillé de ses défenses.
Les cornacs ne sont toutefois pas assez nombreux. Une quatrième équipe de patrouilleurs pourrait être créée l'an prochain et l'achat d'un drone est à l'étude, indique M. Arianto.
Junaidi, un garde-forestier de 23 ans, utilise déjà la technologie du GPS pour cartographier la position de troupeaux sauvages.
Dans la jungle, le jeune homme suit des traces de bouses et se fraye un passage dans la végétation, jusqu'au moment où il aperçoit trois éléphants presque camouflés dans des broussailles, broutant silencieusement.
"Si la prochaine génération ne prend pas soin d'eux, quel avenir auront-ils ?", se demande Junaidi.
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