Kormakitis a été l'un des fiefs de ces descendants de marchands chrétiens de Syrie et du Liban arrivés dès le VIIIe siècle. Mais lors de l'invasion du nord de l'île par l'armée turque en 1974, la majorité de ces maronites a migré et s'est intégrée dans le sud grec, affaiblissant ainsi leur langue, le "sanna" ou arabe chypriote maronite.
L'an dernier, avec la reprise des pourparlers de paix, beaucoup se sont mis à fantasmer un retour vers le nord et une renaissance de leur langue en voie de disparition malgré la mise en place de cours et d'associations.
"Parce que nous avons perdu notre village, il est très difficile de préserver notre langue", résume l'enseignante Katy Foradari, sous le plafond voûté d'une église du XVIIIe siècle, en sortant d'un cours.
Autour de la petite place du village, chapelles en grès baignées de lumière et bungalows blanchis à la chaux accueillent chaque été depuis 2008 de jeunes maronites.
Une centaine d'enfants, de cinq à dix-sept ans, y ont appris cette année les rudiments de l'alphabet --codifié pour la première fois il y a quelques années-- la grammaire, des chants,...
Comme de nombreux volontaires de l'école, Katy a grandi à Kormakitis, le plus grand des quatre villages maronites du nord et le dernier où la langue est encore parlée. Mais à 16 ans, l'invasion turque pousse sa famille à fuir vers le sud, abandonnant tout derrière eux.
Si les maronites ont réussi à établir leurs propres églises dans le sud, avec des messes célébrées en syriaque, ancienne langue sémitique encore utilisée dans des communautés chrétiennes du Levant, le "sanna", lui, s'est perdu dans l'exode.
Avec le temps, "on a commencé à perdre notre langue (...) on s'est habitué à parler grec", explique Katy.
- Un millier de locuteurs -
Sur les quelque 5.000 maronites de l'île méditerranéenne, seul un millier parlerait aujourd'hui la langue de leurs ancêtres.
"C'est seulement par une solution au problème chypriote et par un retour des maronites dans leurs maisons, leurs écoles et leurs églises (...) que nous aurons de bonnes chances de faire revivre (notre) langue", plaide Yiannakis Mousas, représentant de la communauté au Parlement.
En 1974, lui et d'autres familles maronites ont posé leurs valises à Nicosie, organisant leur vie autour d'une église et d'un club baptisé Kormakitis où l'on boit des cafés, tout près de la zone tampon de l'ONU séparant la vieille ville entre zone grecque et zone turque.
Pour Yiannakis Mousas, une réunification de l'île encouragerait les jeunes à revenir dans leurs villages. Ils pourraient ainsi s'habituer aux intonations de la langue ancienne et l'adopter.
"Une fois que les maronites seront réinstallés dans leurs villages, ce sera un nouveau départ", s'emballe-t-il.
Malgré les espoirs de réunification, douchés par plusieurs échecs des pourparlers, la communauté continue de se mobiliser pour sauver sa langue.
Il faudrait toutefois la rendre plus attractive pour les jeunes qui n'ont pas de souvenirs du nord, admet Antonis Skoullis, attablé à un petit restaurant de Kormakitis.
Ce quadra nostalgique dit son rapport très intime avec le "sanna": s'y nichent "mes souvenirs et mes sentiments".
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