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Rama Burshtein, "l'ultra" du cinéma israélien

Dans l'équipe avec laquelle tourne la cinéaste Rama Burshtein, deux collaborateurs occupent une place à part: son assistante, qui la suit partout pour éviter toute rencontre inconvenante avec un homme, et son rabbin, devenu expert du cinéma casher.

Rama Burshtein, "l'ultra" du cinéma israélien
La cinéaste islaélienne Rama Burshtein à Haifa, en Israël, le 20 octobre 2016 - NIR KAFRI [AFP/Archives]

L'Israélienne Rama Burshtein est la première femme réalisatrice juive ultra-orthodoxe à connaître la notoriété en dehors de ce monde rejetant la culture laïque.

Mais comment concilier une observance rigoureuse des lois religieuses et une forme d'art - le cinéma - dont l'orthodoxie juive bannit le concept, même comme un divertissement futile ? Comment filmer, comme elle, le sentiment amoureux dans la communauté orthodoxe, en mélangeant sur le plateau acteurs et actrices laïcs, alors que la loi juive limite étroitement toute interaction entre les deux sexes ?

"Je n'ai pas de manuel. A chaque fois, je dois consulter mon rabbin", répond Rama Burshtein, imitant en cela les autres membres de la communauté. Les "haredim" ("ceux qui craignent Dieu"), comme ils sont appelés et qui représentent 10% de la population israélienne, recherchent constamment l'avis d'un docteur de la loi pour leur dire si leur conduite est conforme aux règles juives qui gouvernent tous les aspects de la vie.

"Tout ce qui se passe sur mon plateau doit être conforme à la Halakha", la loi juive, explique Rama Burshtein, 49 ans, une femme costaude au visage rond et lisse, coiffée d'un turban bariolé qui cache ses cheveux, comme le prescrit sa religion.

Un mari en 30 jours

"Un acteur et une actrice peuvent jouer ensemble mais il n'y a aura aucun contact physique. Nous ne travaillons pas pendant le shabbat et nous refusons en Israël toute projection pendant le shabbat", le jour de repos hebdomadaire, dit la réalisatrice à l'AFP en marge du récent festival international de Haïfa où elle présentait son dernier film.

"Franchir le mur" est une comédie romantique, moins austère que ne le laisserait supposer sa toile de fond ultra-orthdoxe.

Michal (Noa Koller), une trentenaire revenue sur le tard à la religion et pressée de se marier, est laissée en plan par son fiancé un mois avant le mariage. Mais elle décide de maintenir la réception, le traiteur, les invitations et le rabbin, et de s'en remettre à Dieu pour régler le dernier détail: trouver un mari en 30 jours...

Le film est l'un des plus attendus de l'année en Israël. C'est seulement le deuxième de cette réalisatrice. Son premier film ("le Coeur a ses raisons", 2012) a imposé Rama Burshtein dans la production audiovisuelle israélienne à la réputation flatteuse comme une cinéaste qui compte et qui s'exporte.

"Le Coeur a ses raisons" (Fill The Void), drame amoureux qui se jouait dans le huis clos de la Hassidout Gour, l'une des sectes les plus fermées du judaïsme, a rencontré le succès en Israël et raflé plusieurs récompenses internationales, dont une à la Mostra de Venise.

'Une voix de l'intérieur'

Il a fallu des années à Rama Burshtein, tiraillée entre deux vies, pour réaliser le film.

Née à New-York dans une famille juive laïque, étudiante en cinéma fréquentant la bohème de Jérusalem, fan du cinéaste américain Quentin Tarantino, tentée momentanément par le bouddhisme, elle a soudainement rejoint l'ultra-orthodoxie juive à 25 ans, trois mois après son diplôme. Elle a épousé un "mohel", celui qui pratique les circoncisions.

"Quand je suis devenue religieuse, j'ai fait une croix sur le cinéma. Je me suis mariée, j'ai eu quatre enfants, j'enseignais, j'étais très heureuse et surtout très occupée par cette nouvelle vie", se souvient-elle.

"C'est la souffrance qui m'a poussée à réaliser des films pour le grand public. J'avais le sentiment que nous étions privés de notre voix, que tout le monde parlait de notre communauté comme il le voulait et que cela n'avait rien à voir avec ce qui se passait vraiment chez nous. J'ai pensé que c'était le bon moment pour faire entendre une voix de l'intérieur".

Jusqu'à la fin des années 1990, les Haredim étaient complètement absents de la culture israélienne.

"En quelques années, ils sont devenus omniprésents, voire centraux dans la production audiovisuelle", note Avner Shavit, critique de cinéma israélien pour le site Walla.

Monologue culturel

Le monde des ultra-orthodoxes qui vivent dans des villes et des quartiers séparés a fait son apparition au cinéma dans des longs métrages salués par la critique à l'étranger ("Kadosh" d'Amos Gitaï en 1999, "Tu n'aimeras point" de Haim Tabakman en 2009, "My Father My Lord" par David Volach en 2007) et surtout dans une série télévisée de 2013 à moitié en yiddish, "Shtissel", qui sera bientôt adaptée aux Etats-Unis par Amazon.

Les ultra-orthodoxes eux-mêmes se désintéressent de ce que le monde dit d'eux. Seuls quelques proches de la cinéaste, aisément identifiables dans la salle (redingote noire et kippa pour les hommes, robes longues et foulards pour les femmes) ont fait le déplacement pour la première de son film.

"Cette conversation d'un bout de la société israélienne avec un autre ne va que dans un sens: ce sont des films sur les ultra-orthodoxes, mais consommés uniquement par des laïcs", dit le critique Avner Shavit.

"Ma communauté ne ressent pas le besoin de construire ce pont", confirme la réalisatrice qui dit être admirée par ses amis et proches, même si la plupart s'interdisent de voir ses oeuvres.

Son cinéma a beau être casher, l'émoi amoureux y est partout, dans les plans longs sur un regard ou la respiration d'un personnage. Il ne traite de la femme que comme épouse, tique un peu Avner Shavit. Mais il se signale quand même par son parti pris "féministe, si l'on considère son milieu", extrêmement conservateur.

"Ma communauté a 4.000 ans d'histoire et il y a encore beaucoup d'histoires que j'ai envie de raconter", répond Rama Burshtein, se réservant d'ouvrir de nouvelles fenêtres sur le monde clos des ultra-orthodoxes.

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